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Les conseils d'un pro pour filmer sous l'eau

07 juin 2014 par Alexandre Aubert (auteur) / Thierry Philippon (entretien)


Alexandre Aubert est instructeur de plongée à l'année. Rien ne le prédestinait pourtant à cette activité, puisqu'il a suivi une formation en électronique audio-vidéo puis informatique et travaillé 10 ans sur ce dernier secteur. Depuis 2012, il a décidé de vivre de sa double passion - la plongée et l'image - aux Maldives mais surtout en Thaïlande (sur l'île de Koh Tao). Instructeur puis photographe, enfin adepte de vidéo, la triple expérience de ce trentenaire nous en apprend beaucoup sur les techniques de vidéo sous-marine, l'approche du milieu marin, et le matériel requis dans ce milieu hostile mais fascinant. Il a bien voulu partager son expérience avec les visiteurs de magazinevideo en répondant à nos nombreuses questions. N'hésitez pas à visiter son site : www.alex-aubert.com

entretien réalisé par Thierry Philippon

Plongée vidéo

logo

 

MATÉRIEL

Magazinevideo : Depuis quand pratiquez-vous la photo et la vidéo sous-marine ?

Alexandre Aubert : Je fais de la photo terrestre depuis de nombreuses années, mais j’ai débuté la photo sous-marine en 2011. Petit à petit j’ai migré vers la vidéo, qui m'autorise plus de créativité, et me permet de mieux faire découvrir les milieux sous-marins. Je pense qu’il est préférable de commencer par la photo dans un premier temps puis d’évoluer vers la vidéo. Le plus difficile en vidéo est la maîtrise parfaite de la flottabilité, condition pour avoir de bonnes images sans abîmer le récif.

caisson dsc-RX100 II

MV : Quel matériel photo et vidéo utilisez-vous habituellement ?

A.A. : Pour ce qui est de la photographie j’ai utilisé beaucoup un Canon 5DMk2, mais depuis peu je me suis équipé d’un compact expert Sony RX100II logé dans ce caisson. Un reflex permet de faire de très belles photos mais quand on voyage beaucoup c'est vraiment très encombrant, de plus selon le choix de l’optique montée il peut y avoir de grosses frustrations. Imaginez-vous avec un objectif 100mm Macro prêt a photographier une nudibranche et qu’un requin-baleine passe par là, vous devrez vous contenter de photographier L'oeil de ce gros poisson.

Le Sony RX100 II est d’une qualité vraiment remarquable et ne prend que très peu de place. De plus, en s’équipant d'une lentille humide macro ou grand-angle, cela permet de passer d’une minuscule crevette à un requin baleine durant la même plongée sans problème.

aq-vidéo

Pour la vidéo j'utilise une caméra Sony HDR-CX550 (NDLR : modèle de 2010) dans un caisson Aquatica, ou également mon appareil photo Sony RX100II, dans les deux cas le plus important est d’avoir un filtre rouge. Car sous l’eau les couleurs disparaissent au fur à mesure que l’on descend. Je n’utilise en général un éclairage que pour les plongées de nuit.

Côté montage, j'édite mes vidéos avec Adobe Premiere Pro 5.

flatworm

MV : Dans quels pays plongez-vous ? Et à quelle profondeur ?

A.A. : Je ne plonge quasiment que dans les océans et mers chaudes, même si cela m’arrive de temps à autres de faire des plongées dans des lacs. Cela va de l’Egypte à la Malaisie en passant par la Thaïlande et l’Indonésie. Il reste encore tellement d’endroits à découvrir que je ne sais pas si j’arriverai au bout des destinations rêvées un jour. Pour ce qui est de la profondeur, je filme régulièrement jusqu’à 30 mètres mais j’évite d’aller plus profond car la lumière est insuffisante. Je privilégie plus les faibles profondeurs où les couleurs sont de meilleures qualité et bénéficient d’un meilleur éclairage solaire.

MV : Que pensez-vous des caméras type GoPro, Sony ActionCam ?

A.A. : J’ai eu l’occasion de tester la GoPro Hero 3, Les caméras de ce type peuvent faire des images sympa, cependant il faut les customiser. En tout premier, un filtre rouge est obligatoire si on veut avoir un minimum de couleur, ainsi qu’une platine de fixation à 2 mains. N’oubliez pas qu’en plongée vous êtes en totale lévitation, et que le plus difficile est la stabilité. Donc tenir sa GoPro au bout d’une perche, dans la main ou encore accrochée au corps vous donnera forcement le mal de mer en visionnant les images. De plus il n’y a pas de possibilité de zoomer, donc pour filmer par exemple un requin il faudra réussir à s’approcher relativement près pour réussir à le voir à l’écran.

MV : Votre matériel vidéo a t-il évolué au fil des ans ?

A.A. : Comme tout les équipements il y a une évolution très rapide, je ne pense pas qu’il faille avoir tout le temps le dernier modèle, mais il faut savoir également évoluer avec les nouvelles technologies, par exemple actuellement le 4K arrive sur le marché à des prix raisonnables, donc ça sera sûrement un investissement futur.

plongée vidéo

MV : Quels conseils pouvez-vous donner pour l'entretien du matériel ?

A.A. : Une caméra est un gros investissement, mais sous l’eau le Caisson l’est également. En général le prix du caisson est équivalent à celui de la caméra ! Une préparation du matériel faite dans la précipitation peut aboutir à une noyade de votre équipement. Il suffit d’un grain de sable ou d’un cheveu sur le joint du caisson pour tout couler. Il faut donc prendre son temps pour préparer son équipement, siliconer le joint avant chaque plongée mais sans en mettre non plus un tube complet, le silicone est uniquement présent pour éviter le dessèchement du joint. Après chaque plongée rincer et laisser tremper son caisson dans l’eau douce pour retirer toute l’eau salée. Le sel ronge tout et n’est vraiment pas bon pour les caissons. Je conseille également de ne pas laisser le joint sur le caisson si l’on n’utilise pas son caisson pendant quelque temps car le joint risque de garder la forme et augmenter le risque de fuites.

Essayez de préparer votre équipement chez vous et non sur le bateau où l’espace est souvent restreint, et entreposez votre caméra où elle ne peut pas tomber ou se faire écraser sur le bateau.

Un dernier conseil est de glisser dans un espace libre un tampon hygiénique, cela fait sourire mon entourage de me voir avec une boite de tampon dans mon sac de plongée, mais dans le cas d’une fuite minime, le tampon absorbera l’eau et sauvera peut-être votre caméra...

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TECHNIQUE GÉNÉRALE

MV : Comment gérez-vous la mise au point ?

A.A. : En général je garde la mise au point en automatique, mise à part pour filmer des sujets macro où à ce moment j’utilise la mise au point manuelle. Il n’est pas évident de faire une mise au point manuelle sous l’eau. L’écran est dans un caisson séparé par une vitre et de plus vous avez un masque sur le visage.

MV : Comment gérez-vous les effets de grossissement sous l’eau ?

A.A. : Le principal danger du grossissement sous l’eau est de griffer le dôme du caisson, on a les yeux sur l’écran et on essaie de s’approcher au plus près du sujet, il faut donc avoir un œil sur l’écran, un œil sur le récif pour ne rien toucher et un œil sur la scène en question.

MV : Quel type de balance des blancs choisissez-vous ?

A.A. : Selon les caméras il existe les balances automatiques qui fonctionnent relativement bien, mais toujours en utilisant un filtre rouge, pour les modèles à balance manuelle, je fais une balance de blanc sur une plaque immergeable à environ 7m de profondeur, ce réglage est en général pas trop mal jusque à 25 mètres, mais cela dépend bien sûr de la visibilité du site de plongée. Il ne faut pas hésiter à refaire une balance si la visibilité ou la luminosité change durant la plongée, ou alors si on voit que les couleurs sont faussées.

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MV : Avez-vous des astuces pour vous stabiliser le plus possible lorsque vous filmez en plan fixe ou en travelling ?

A.A. : Pour la stabilisation il n’y a pas de miracle, on ne peut pas se coucher dans le corail pour filmer il faut donc maîtriser parfaitement la flottabilité, garder les bras tendus, et adopter une respiration très lente et douce.

En travelling, il est rare que le courant soit exactement dans la direction souhaitée, je privilégie un palmage régulier, évitez le palmage grenouille qui n’est pas très fluide. Choisir sa direction, puis prendre la vitesse souhaitée, et seulement à ce moment débuter la séquence. Ne pas non plus se laisser perturber par un poisson qui traverse le champ et continuer sur sa trajectoire initiale.

poisson plongée vidéo

MV : Tentez-vous de stabiliser vos plans instables au montage ?

A.A. : Je ne stabilise que très rarement une image, cela ne m’est arrivé que quelques fois pour de la macro lors d’éclosions de coraux dans une eau peu profonde avec du ressac.

MV : De combien d’autonomie en batterie disposez-vous ?

A.A. : J’utilise des batteries de grandes capacités qui me donnent environ 4h d’autonomie, cela me laisse le temps de faire 2 plongées sur une batterie pendant qu’une deuxième se recharge au sec.

MV : Le fait de filmer peut faire perdre un peu de concentration concernant la sécurité de la plongée. Comment gérez-vous ce facteur ?

A.A. : Très souvent les vidéastes se retrouvent un peu éloignés de leur binôme, je plonge donc avec une pony bottle (ce modèle-ci de 85 litres), c'est une petite bouteille de secours qui permet d’avoir environ 60 respirations à la surface, le temps donc de rejoindre son binôme, un autre risque est d’abîmer le récif en voulant avoir une séquence et par la même occasion, se blesser. Je pars du principe qu’un plan où je risque de casser du corail ne vaut pas la peine d’être fait, je préfère ne pas avoir d’image que de casser du corail.

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NOTIONS SPÉCIFIQUES A L’ÉCLAIRAGE

MV : Comment profiter au mieux de la lumière naturelle par faible profondeur (type snorkeling) ? Quels conseils donner à un débutant ?

A.A. : Les règles de bases de la photo-vidéo s’appliquent également sous l’eau. Ayez toujours le soleil dans le dos à moins de vouloir uniquement une silhouette de poisson, évitez également les plans "plongés" (de haut en bas).

MV : Comment éclairez-vous la scène ? L’éclairage est-il indirect pour éviter les particules ?

A.A. : Je n’utilise d'éclairage qu’en plongée de nuit, pour cela j'exploite 2 phares fisheyes de 1000 lumen. Mon éclairage est monté sur 2 bras articulés fixés sur le caisson. Je suis seul en général quand je filme.

L’utilisation de bras est très importante pour l’éclairage, il faut écarter au maximum la lumière de la caméra pour n’éclairer que le sujet et non pas l'espace entre la caméra et le poisson. Le but est vraiment d’éviter d’éclairer les particules entre vous et le sujet.

MV : Comment évitez-vous d’obtenir des sujets « cramés » avec une lumière trop forte ?

A.A. : Le fait d’avoir un éclairage grand-angle permet de ne pas brûler son image, il faut vraiment que l’éclairage puisse couvrir le champ complet, donc éviter une torche directionnelle pour filmer sous peine d’avoir un point brûlé au milieu de l’image.

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PRATIQUE / CRÉATION

MV : Quelques conseils pour approcher les animaux marins ?

A.A. : Chaque poisson adopte une attitude différente avec le plongeur. En général les poissons n’aiment pas trop les bulles, mises à part les raies Manta ou le requin baleine. Il faut réussir à approcher en douceur l’animal en faisant de petites bulles uniquement, mais en évitant de bloquer sa respiration car cela peut être dangereux pour la santé. C’est pour cela que beaucoup de vidéastes sous-marins utilisent des recycleurs pour filmer sous l’eau, cela élimine le problème des bulles. Il faut également laisser le temps au poisson de s’habituer à vous, et l’approcher petit à petit. Il n’est pas rare de passer 15 minutes pour l’approche d’un poisson. Idéalement, plongez avec un autre vidéaste sous peine d’avoir un binôme qui passera sa plongée à vous attendre.

MV : Des conseils pour filmer les animaux marins ?

A.A. : Il faut le plus possible filmer les poissons en contreplongée, ce qui augmente la luminosité et est beaucoup plus agréable à regarder qu’un poisson filmé du dessus, les queue de poissons ne sont pas très intéressantes donc avoir des plans d’un poisson qui s’approche oui, un poisson qui s’enfuit non. Ne pas hésiter non plus à laisser un poisson sortir du cadre, c’est à dire ne pas changer de direction pour suivre un poisson lors d’une séquence.

MV : Et pour la flore ?

A.A. : Selon les sites de plongées il peut y avoir des algues, n’hésitez pas à traverser un champ d’algues, mais ne prenez pas de risque de vous emmêler non plus.

MV : Les pièges à éviter ?

A.A. : Ne pas faire des séquences trop longues, en général il vaut mieux privilégier plusieurs séquences d’une dizaine de secondes plutôt qu’un plan de 30 secondes qui deviendrait rébarbatif et endormirait le spectateur.

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MV : Quelles erreurs avez-vous pu commettre au début ?

A.A. : Dans mes débuts j’avais tendance à filmer un sujet sous beaucoup trop d’angles et durant trop longtemps, ce qui donnait un travail énorme de choix des séquences. Une fois que vous avez un plan large, un plan serré, et un travelling d’un sujet, cela ne sert a rien de filmer 5 fois la même chose, une plongée a une durée limitée il faut optimiser son air et réussir à filmer différentes choses. Pas toujours facile à abandonner un poisson rare, mais une fois les images nécessaires dans la caméra, ne pas hésiter à aller chercher un autre sujet.

MV : Quelles difficultés continuez-vous à rencontrer ?

A.A. : Ayant beaucoup filmé sur des sites très fréquentés, mon principal problème est de ne pas avoir un plongeur qui passe dans mon champ. Beaucoup de séquences sont perturbées par des bulles d’autres plongeurs.

poisson plongée vidéo

MV : Un moment de la journée qui a votre prédilection pour filmer ?

A.A. : J’apprécie beaucoup de filmer le matin de bonne heure quand la faune se réveille et que tous les poissons sont occupés à se nourrir.

MV : Vous semblez toujours privilégier la musique dans vos films ? Jamais tenté de conserver le son d’origine (ou de mixer) ? Mixez-vous parfois des plans à la fois terrestres et sous-marins ?

A.A. : Je trouve que la musique permet de créer une ambiance particulière et faire ressortir une émotion, cela permet également d’avoir une trame pour monter le film. Je passe beaucoup de temps à chercher de la musique qui s’adapte au sujet filmé, il me faut parfois plusieurs heures de recherche avant d’avoir le déclic d’une musique qui ira bien avec l’ambiance souhaitée.

J’ai plus d’expérience en image sous-marine que terrestre, mais j’ai de plus en plus envie de combiner les 2, ce qui permet de dynamiser le film, comme par exemple mon dernier reportage sur l’éclosion du corail, où j’ai suivi durant 1 mois une équipe de biologistes et volontaires sur l’île de Koh Tao en Thaïlande.  

A PROPOS DE VOTRE FILM SHOWREEL KOH TAO

MV : Combien de plongées et quelles durées ont été nécessaires pour compiler autant de « rencontres » aquatiques ?

A.A. : Il m’a fallu une dizaine de plongées d’environ 70 minutes pour rassembler ces images, j’aurais eu la possibilité de faire un film beaucoup plus long mais je n’ai choisi qu’une partie de mes images pour cette vidéo, ce qui n’est pas facile. On a parfois l'envie de montrer beaucoup plus, mais je ne veux pas que les spectateurs s’endorment.

A PROPOS DE VOTRE FILM Sattakut Wreck Koh Tao

MV : Comme on le voit dans votre film, la découverte d’une épave laisse la part belle à une construction un peu scénarisée, ou du moins à une ambiance. Quelle a été la genèse de cette idée ?

A.A. : J’avais envie de faire un petit film sur cette épave, j’ai donc fait ce film en 2 plongées de 20 minutes du fait de la profondeur. Durant le tournage je tombe par hasard sur un apnéiste qui passe à côté de moi à 30m de profondeur, je décide simplement de le suivre. Il est concentré et ne me remarque même pas, cela me permet d’avoir une belle séquence, de là je m’imagine à sa place et me vient l’idée de l’ambiance à donner. Le petit plus : les quelques images d’une femme en uniforme à la proue du bateau sont également un hasard; des jeunes s’amusent à faire une séance photo sur l’épave je lui demande si je peux faire un plan d’elle, et voilà j’ai mon idée, il ne reste plus qu’à créer l’ambiance au montage.

Pour découvrir d'autres vidéos d'Alexandre Aubert, vous pouvez visiter son site : www.alex-aubert.com

 

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