Série Adolescence : le plan-séquence au sommet de son Art
06 juillet 2025 par Thierry Philippon

Je dois dire que j'ai été scotché comme rarement par la mini-série anglaise Adolescence disponible sur Netflix, en 2e position des audiences de la chaîne par ailleurs. Le thème est difficile et tristement d'actualité : un adolescent sans histoire qui commet un meurtre sur une fille de son âge, au nom de la détestation des filles. Mais sans reléguer au second plan le thème, l'écriture, ou l'interprétation poignante des acteurs, c'est le tour de force technique qui m'a stupéfié puisque chaque épisode est tourné... en un unique plan-séquence (!), malgré des changements constants de personnages, des dialogues nourris, rapides et même des changements de lieux, hormis le 3e épisode.
Certes, ce n'est pas le premier plan-séquence de l'histoire du cinéma sauf que chacun des 4 plans d'Adolescence dure entre 52 et 65 minutes ! Excusez du peu... Rappelons que l'un des plans-séquences parmi les plus célèbres du cinéma n'en est pas un totalement. Il s'agit de celui d'Hitchcock dans son film La Corde qui est en réalité composé de 6 plans, appuyés par des raccords effectués en s'aidant d'une transition au noir lorsque la caméra passe dans le dos (sombre) d'un des acteurs du film.
Alors bien sûr, de nombreux réalisateurs se sont essayé avec talent au vrai plan-séquence, qu'il s'agisse (entre autres) de Stanley Kubrick dans Shining, Terrence Malik dans les Moissons du Ciel, ou de la mémorable scène d'ouverture avec Daniel Craig dans le James Bond Spectre à Mexico, ou enfin de scènes du film de guerre 1917 de Sam Mendes, sans oublier la scène finale de Profession : Reporter d'Antonioni dont la caméra passe à travers les barreaux d'une chambre.
Comme dans les films précédemment cités, mais avec une complexité bien plus grande en raison de la durée, la série de Netflix a relevé le défi technique sans le moindre raccord, sans trucage non plus, et malgré les sceptiques, sans l'aide de l'IA. Et c'est là toute la réussite de cette fabrication "artisanale" et tout le problème à la fois : avec les possibilités de l'Intelligence artificielle, on peut être amené à croire que tout est fabriqué au montage. Et bien non ! Pas encore cette fois !
Pourtant la série cumulait plusieurs difficultés de taille à commencer par le jeune Owen Cooper, l'ado meurtrier du film, qui a dû apprendre une heure de dialogue, pour le premier et le troisième épisode de la série (qui en comprend 4), et se glisser dans la plus terrible des situations alors que son jeune âge faisait qu'il n'avait encore jamais joué dans un seul film ! Pour la petite histoire, une psychologue supervisait chaque jour de tournage avec le jeune acteur.
Autre paramètre qui n'a pas été une mince affaire, réaliser une succession de travellings en caméra portée à chaque déplacement de personnage d'un point A à un point B. Mieux : à la fin du 2e épisode, la caméra s'envole même dans les airs... On comprend mieux pourquoi les plans-séquences ont été recommencés 10 fois (la production n'avait pas droit à plus) et parfois, c'était la 10e version qui était la bonne ! Pourtant tous les défis techniques ont été résolus un par un, comme en atteste l'extrême fluidité des scènes.
Mais au fait, pourquoi avoir choisi un tel langage cinématographique ? Pour l'exploit ? Pas vraiment, voire pas du tout, assure le réalisateur, Philip Barantini. L'intérêt du plan-séquence est qu'il égrène le temps tel qu'il se déroule, de manière à embarquer le spectateur dans l'histoire sans le lâcher un seul instant. Et c'est là exactement ce que souhaitait le réalisateur : faire vivre au spectateur (1er épisode) la procédure d'arrestation spectaculaire du jeune adolescent, les réactions des uns et des autres, puis l'interrogatoire du jeune dans le commissariat, (2e épisode) l'enquête dans le lycée, (3e épisode) l'évaluation de la responsabilité du jeune homme par une psychiatre, et (4e péisode) la vie quotidienne pleine de doutes, de tristesse et de colère de la famille en attendant le procès. Une immersion dont seul le plan-séquence permettait de restituer l'atmosphère au plus juste.
Pari gagné pour cette mini-série dont les quatre épisodes sont poignants. A l'instar d'un Projet Blairwitch qui était filmé intégralement en caméra portée instable pour traduire l'aspect amateur et improvisé du document, rarement la technique et la narration auront été si intimement liés pour une série. Du grand art...
Adolescence, série créée par Jack Thorne et Stephen Graham, réalisée par Philip Barantini. Photos : © Adolescence
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