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DJI en lutte contre le Countering CCP Drones Act aux Etats-Unis

23 mars 2024 par Thierry Philippon


Au pays de l'Oncle Sam, DJI se retrouve au coeur d'une attaque de ses intérêts commerciaux. Pour les rares visiteurs qui ne le sauraient pas, DJI, fabricant de drones et de systèmes de stabilisation, est d'origine chinoise. Or, le Congrès (américain) s'intéresse depuis plusieurs années au risque sécuritaire que représente des acteurs technologiques non-américains, et implicitement, chinois. C'est pourquoi le Congrès, après plusieurs projets successifs, a finalement promulgué le American Securit Drone Act (ASDA) en février 2023, restreignant puis interdisant l'emploi de drones d'origine non-américaine dans les administrations du pays. DJI n'est pas seul concerné mais comme il est leader, le fabricant est impacté en théorie au premier plan. L'ASDA a été signé par Joe Biden en personne, pas par des fanatiques.
 
Toutefois, la lecture du document révèle que de nombreuses exemptions permettent aux administrations, sous conditions, de déroger à ce décret en apparence très restrictif. Bref, fin de la partie ? Pas tout à fait.
 

Nouveau projet d'interdiction

 
Après l'interdiction dans les administrations, c'est au tour de tous les utilisateurs américains d'être potentiellement concernés. En effet, deux membres de la Chambre des Représentants (à majorité républicaine) - Elise Stefanik et Mike Gallagher - ont lancé un projet encore plus étendu nommé "Countering CCP Drones Act" et ont remis un rapport en ce sens. Ce projet vise tout bonnement à reconsidérer les autorisations d'exploitation des aéronefs, notamment ce qui régit la FCC (organisme qui régule les télécommunications aux Etats-Unis). A terme, le but visé est d'interdire la vente de nouveaux drones DJI aux Etats-Unis et au pire, à clouer au sol ceux que les particuliers et professionnels possèdent déjà ! 
 
L'hypothèse que ce projet soit voté reste assez improbable tant il provoquerait un ouragan de protestations et mettrait toute une économie à plat, mais les incertitudes vi-à-vis de la prochaine élection présidentielle de novembre 2024 sont telles que l'éventualité d'une telle mesure est suffisamment prise au sérieux par la firme chinoise pour qu'elle se soit fendue d'un communiqué, reprenant point par point les arguments invoqués.
 
Quels sont justement les arguments de ce Countering CCP Drones Act censé rendre DJI (et les autres fabricants non-américains) coupable de tous les maux ?
 
Il est d'abord reproché au fabricant d'aéronef de mettre au point des drones-espion au service d'objectifs militaires, DJI étant considéré (par les autorités US) comme une "Chinese military company” et non comme une compagnie privée.
 
Les deux membres de la Chambre des Représentants reprochent aussi à DJI de collecter des vues de type "flight logs" (données de vol), photos, et videos avec l'objectif détourné de transmettre ces données aux autorités chinoises. C'est un des points qui revient le plus souvent.
 
Le Countering CCP Drones Act accuse aussi DJI d'espionner la chaleur corporelle ou la fréquence cardiaque des concitoyens américains... Enfin l'entreprise est accusée de soutenir la politique chinoise qui bafoue les droits humains à travers les Ouigours notamment...
 

La réponse de DJI

 
DJI pouvait difficilement rester de marbre face à de telles accusations. Mais plutôt que de répondre frontalement, l'entreprise a préféré prendre à témoin les utilisateurs américains de drones via son blog, et a publié un communiqué, dans lequel elle répond point par point aux critiques émises dans le cadre du Countering CCP Drones Act.
 
D'abord DJI se défend de collecter "par défaut" des vues de type "flight logs" (données de vol), photos, ou videos qu'enverraient les pilotes de drones au fabricant ou à des tiers, selon une logique de partage de données. Le terme "par défaut" a une importance extrême. Cela signifie que DJI rappelle que le partage de données n'est possible que si l'utilisateur entreprend une démarche volontaire (opt-in) de partage de données (avec l'entreprise). Et DJI de préciser que même ceux qui souhaitent prendre des précautions ultimes peuvent activer sur leur mobile ou leur tablette le mode Local data Mode ou même se placer en mode "Avion", n'émettant du coup aucune donnée via Internet.
 
Donc non, selon DJI, il est faux de dire ou de laisser entendre que l'entreprise reçoit par défaut les données des drones en vol. Des sources indépendantes privées telles que Kivu Consulting ou Booz Allen Hamilton ont d'ailleurs réalisé des tests de sécurité sur les données DJI et n'ont trouvé aucune confirmation de données que puisse collecter les drones vers DJI, le gouvernement chinois, ou des tiers...
 
Concernant la question de la reconnaissance de la chaleur corporelle, il est exact que des essais d'évaluation ont été effectués durant la pandémie de COVID-19 par des drones DJI à la façon d'un thermomètre médical infrarouge ou pour mesurer des installations électriques. Mais DJI affirme n'en avoir pas conseillé l’utilisation, d'autant que les mesures ne sont pas suffisamment précises (elles varieraient à 0,5° près) et ne sont donc pas qualifiables de "médicales". D'autre part, concernant la mesure de la fréquence cardiaque (qui s'avère utile pour repérer des personnes dans des décombres par exemple), DJI affirme que cette technologie émane d'un autre fabricant de drones et non de sa société.
 
DJI se défend aussi que ses drones puissent être volontairement utilisés à des fins militaires. L'entreprise affirme ne pas chercher à ce que son réseau de revendeurs fasse du business pour des opérations de combat. Ce qui est vrai en revanche, est que DJI ne peut empêcher que ses drones se retrouvent sur des terrains de combat. Tous les jours, le fil Twitter (pardon, X) montre des drones Mavic à l'usage chez les combattants ukrainiens ou offerts aux combattants dans le cadre de campagnes de soutiens. Et les russes, qui communiquent moins sur leurs attaques par drones, en possèdent probablement aussi...
 
Comme on le voit toute la difficulté est que certaines accusations sont fondées sur des faits complexes, parfois sortis de leur contexte, ou amplifiés.
 

Et les droits humains ?

 
Reste la problématique de DJI sur les droits humains. Le rapport des élus américains pointe la surveillance supposée par les drones DJI du peuple Ouïgour qui a d'ailleurs déjà valu à DJI d'être placé (comme Huawei) sur une liste noire (en 2020) des entreprises "qui présentent un risque pour la sécurité des États-Unis". L'entreprise chinoise a d'ailleurs été interdite de CES en 2023. DJI rétorque sur son blog que ses drones peuvent être achetés n'importe où dans le monde puisqu'ils sont "off-the-shelf" (en vente libre) et que le fabricant ne peut donc en maîtriser ou interdire l'usage. DJI ne peut que déclarer que ses produits "sont développés pour des usages pacifiques et civils uniquement".
 
Une anecdote pour finir : les deux membres qui ont lancé le Countering CCP Drones Act sont républicains et considérés comme épousant de près la ligne de Donald Trump. Elise Stefanik, est la plus connue des deux : elle a viré de bord, défendant successivement des thèses plutôt progressistes (lutte contre les discriminations des LGBT...) puis faisant partie des élues reprenant à son compte les affirmations trompeuses de l'ancien président sur d’hypothétiques fraudes électorales. On espère pour elle et son collègue républicain que ses accusations envers DJI, sur un sujet aussi sensible, sont un peu mieux étayées...
 
Quoi qu'il en soit, tant que l'élection de novembre 2024 n'est pas passée aux Etats-Unis, il y a peu de chance que le projet du Countering CCP Drones Act aboutisse. Mais selon les résultats de l'élection, qui sait ?
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