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Boulette au sommet de Davos

05 février 2020 par Thierry Philippon


Je souhaitais vous parler du sommet économique mondial de Davos qui s'est tenu en janvier 2020. Il s'agit ici d'évoquer un singulier cadrage photo et un imbroglio de communication. Pour rappel, au sommet de Davos, un contre-sommet informel avait tenté de se structurer. Ce contre-feu était mené par la cheffe de file Greta Gunberg. Pour l'essentiel, il n'en est resté qu'une polémique de plus dont on aurait pu se passer, dans un monde médiatique inondé de polémiques quotidiennes. Du point de vue de l'information, cette affaire est navrante car elle illustre que tous les protagonistes de cette histoire, sans exception, se sont plantés, chacun leur tour, y compris les militantes du climat qui défendaient pourtant une cause en apparence juste et urgente.
 
Mais revenons aux faits. Davos. Janvier 2020. Cinq militantes du climat dont la plus connue d'entre elles, Greta Gunberg, tentent de faire entendre leur voix dissonante, face aux intérêts économiques des grandes puissances.
 
Les 5 militantes sont prises en photo à différentes occasions par les plus grandes agences photo. L'agence Associated Press retient en particulier une photo prise en extérieur, et fait une boulette en recadrant une des 5 jeunes femmes jusqu'à la faire disparaître totalement du champ ! L'image est publiée ainsi. Pas de bol, la jeune femme (avocate) évacuée du champ de la photo, outre l'affront personnel, est une écologiste ougandaise de 23 ans, Vanessa Nakate, la seule personne du groupe représentant le continent africain !  En très peu de temps, l'intéressée, fondatrice du mouvement "Rise up Movement" et Greta Thunberg, n'y voient que du racisme larvé. L'intéressée contre-attaque même en disant tout le mal qu'elle pense de cette suppression qu'elle qualifie de "raciste" dans une vidéo qu'elle publie sur Twitter.
 
Associated Press est évidemment le premier fautif dans cette histoire car non seulement Vanessa Nakate, jeune avocate, est éliminée sans ménagement d'une photo importante, mais elle est la seule représentante du continent africain, un continent dont tous les experts s'accordent à dire qu'il subit ou va subir les plus grands désordres climatiques alors qu'il est le moins polluant en termes d'industrie. Bref, s'il y avait bien une personne à ne pas évacuer de la photo, c'était probablement cette avocate ougandaise !
 
Mais la boulette d'Associated Press ne s'arrête pas là. Ils en commettent une deuxième, passée davantage inaperçue.  
 
En effet, l'agence A.P. publie ensuite un communiqué regrettant en grande partie l'incident (ici) mais s'aventure - pour écarter toute idée de racisme - à avancer l'explication que le photographe n'avait pas trouvé l'immeuble très beau en arrière-plan (!). Il aurait du coup recadré pour cette raison la jeune africaine qui se trouvait devant (!!). Outre l'argument qui laisse pantois, il y a fort à parier que la raison, technique, est à chercher du côté de l'homothétie : en effet plus on recule, et plus les visages sont petits. Les personnes montrées en photo n'étant pas très connues (hormis Greta Gunberg), il est fort possible que le photographe ait cherché à recadrer les visages, simplement pour resserrer les visages et mieux les distinguer. 
 
Par négligence, précipitation ou inconscience, la personne la plus à gauche du cadre s'est donc retrouvée hors champ. La vitesse de l'information et ses travers est connue. Il suffit de travailler quelques semaines dans une agence de presse ou même, dans le studio maquette d'un magazine, pour comprendre les mécanismes de fabrication des erreurs. L'AP a d'ailleurs confirmé que les choses s'étaient déroulées dans une trop grande précipitation. 
 
La 3e boulette est paradoxalement celle de l'intéressée elle-même : pourquoi porter une accusation de racisme alors qu'il s'agit manifestement d'un problème de précipitation ou de négligence ? Le racisme est souvent un acte volontaire et délibéré. Le Photoshopage de telle ou telle personnalité politique sur une photo est monnaie courante. C'est dans ce cas un acte volontaire et délibéré; manifestement avec le sommet de Davos, on n'est pas du tout dans la même sphère. La précipitation n'est pas du racisme. C'est de la précipitation. 
 
Je trouve d'ailleurs bien suspect que sur la page française Wikipedia d'Associated Press, structure qui revendique des centaines de milliers de photos dont certaines ont été immensément célèbres, l'incident de Davos ait été immédiatement mentionné avec la création d'un chapitre dédié (Controverse), propos qui s'accompagnent d'une contrevérité. L'AP, contrairement à ce que prétend la fiche Wikipedia, s'est bien excusée et très rapidement. 
 
Enfin la dernière boulette vient de l'effet induit par cet effet de zoom. Au lieu de parler des problèmes réels du sommet de Davos, de l'hégémonie des Etats-Unis, de la Chine ou du Brésil sur le climat, on parle d'un recadrage photographique qui finit par occuper le devant de la scène (pour preuve). Un effet de loupe et d'emballement dont on aurait pu s'affranchir.
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