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Je vais divulgâcher votre fresque vidéo en hyperaccéléré !

29 mai 2020 par Thierry Philippon


Une information enfin plus légère en ces temps de pandémie. Quoiqu'elle risque d'animer des débats presque aussi vifs ! En effet, la Commission d'enrichissement de la langue française, a publié au Journal Officiel son verdict concernant une liste d'anglicismes du domaine audiovisuel, de la communication, de l'édition et des médias pour lesquels elle préconise des équivalents français. 
 
L'affaire est tout à fait sérieuse et a pour but de promouvoir le plurilinguisme, expression qui cache en réalité le désir de faire rayonner la terminologie française contre la toute puissante hégémonie de la langue anglaise, nos amis québécois en savent quelque chose ! Conséquence, d'une part les décrets, arrêtés, circulaires, instructions et directives des ministres, doivent utiliser les mots français préconisés par la Commission (voir texte légal). D'autre part, l'emploi d'une marque , de commerce ou de service constituée d'une expression ou d'un terme étrangers est interdit aux personnes morales de droit public dès lors qu'il existe une expression ou un terme français de même sens. Et cette interdiction s'applique même "aux personnes morales de droit privé chargées d'une mission de service public, dans l'exécution de celle-ci". Mazette, c'est pire que la règle des 100 kms et cette fois, ce ne sera pas levé par décision gouvernementale ! :)
 
Je vous propose donc de passer en revue les principaux termes que nos poltiques et commerciaux devront utiliser mais l'on peut avoir de furieux doutes sur la faisabilité et l'efficacité de cette injonction. Voici pourquoi.
 
D'abord, tous les linguistes depuis le plus célèbre d'entre eux, Ferdinand de Saussure, s'accordent à dire qu'avec une langue vivante, l'usage (des locuteurs) est souvent en avance sur la règle. Autrement dit, quand la Commission d'enrichissement de la langue française finit par se pencher sur la francisation d'un terme, son temps de réaction est tel que depuis plusieurs années, le terme est déjà employé et compris par les interlocuteurs qui l'utilisent. A tel point que si la francisation n'est pas claire, deux interlocuteurs français risquent de ne plus se comprendre entre eux. Un comble ! Enfin, dernier problème : les tentatives d'équivalence linguistique entre l'anglais et le français obligent souvent à créer des termes beaucoup plus longs en français, voire à utiliser une périphrase. Or un locuteur a toujours tendance à parer au plus immédiat et au plus simple. Hormis un célèbre chroniqueur météo d'Europe 1, je vous mets au défi de trouver quelqu'un qui dit "bon congés de fin de semaine" à la place de 'bon WE" ? :)
 
 
Un des termes qui sera au coeur de ce triple écueil - l'usage, le risque de ne plus être compris et la périphrase - est le terme "Podcast", que la Commission demande de traduire par "audio à la demande" (AAD), voire "programme ou émission à la demande" ou même "audio" !? Le terme Podcast (ou Podcast audio) est révélateur car c'est un terme, fusse-t-il anglais, qui est utilisé depuis au moins 10 ans en français, avec une accélération ces dernières années. Si vous dites "j'ai téléchargé un Podcast" à quelqu'un qui a l'habitude de naviguer sur le Web, vous avez de grandes chances d'être compris. Si vous dites "j'ai téléchargé un audio à la demande", j'engage les paris que votre interlocuteur froncera les sourcils ou trouvera que vous utilisez un langage bien "précieux". D'ailleurs cette même Commission s'était déjà emmêlée les pinceaux avec le terme podcasting en 2006 en préconisant "diffusion pour baladeur", expression qui a fait un flop total ! Enfin, il est beaucoup plus long de dire "programme ou émission à la demande" ou même "audio à la demande" que notre bon vieux Podcast.
 
 
De même, quelques autres termes prêtent à sourire. Ainsi "fresque vidéo" pour "video mapping" est une francisation pour le moins audacieuse. D'autres équivalents sont carrément trop longs, c'est le cas en audio de "ajustement automatique d'intonation" à la place de "auto-tune". Enfin la francisation de certains termes prête au comique ou manque de précision. Était-ce bien nécessaire de traduire par le terme "démineur -euse" le rôle du "sensitivy reader" (membre d'une maison d'édition qui traque dans les livres des insultes possibles envers des minorités) ?? Ou de choisir "romance urbaine" en lieu et place de "chick literature" et "chick lit", le terme français n'étant finalement pas plus explicite que les termes anglais (les chicks lit sont des romans plutôt à l'eau de rose mais écrits avec finesse, par des femmes pour des femmes).
 
 
D'autres équivalents anglais-français sont heureusement plus intéressants car ils ne cumulent aucun des trois écueils décrits au début de cet article. Ainsi l'équivalent "hyperaccéléré" pour "time-lapse" n'est pas si bête même si le mot time-lapse est entré dans le langage courant des technophiles photo-vidéo. Hyperaccéléré n'est pas si mal trouvé car il exprime bien le résultat obtenu. C'est un seul mot qui, pour les non-technophiiles, peut engendrer une meilleure communication entre deux locuteurs. Si je dis "une image en time-lapse" à ma soeur aînée qui est rétive à toute technologie, elle me coupera immédiatement la parole en me disant ne rien comprendre à ce charabia, d'autant que la traduction littérale des deux termes "lapse" et "time" ne reflète pas l'idée d'un résultat en accéléré. Mais si je lui parle d'une image "en hyperaccéléré", la communication n'en sera que facilitée. Cependant j'aurais préféré que la Commission pousse un peu plus loin et propose aussi une traduction pour le terme hyperlapse, moins entré dans le langage courant et donc plus difficile à faire comprendre.
 
Autre bonne idée, "infox" se destine à remplacer "fake news". C'est assez malin, l'infox mélange l'idée d'info et d'intox, c'est d'ailleurs un terme qui est déjà utilisé dans la communication des medias. Mais je ne suis pas sûr que fake news, terme très popularisé par un célèbre milliardaire américain qui recommande d'avaler du détergent, soit abandonné de sitôt ! Je pense même qu'il va coexister avec infox. En revanche, la Commission propose "vidéotox" (vidéo falsifiée grâce aux techniques de l'intelligence artificielle) pour "deep fake" : c'est aussi simple que court en français et plutôt bien trouvé.
 
 
Un autre mot qui va sans doute faire jaser est l'équivalent de spoil (article qui risque de vous raconter la fin d'un épisode ou d'un film de cinéma) pour lequel la Commission a dégainé le terme "divulgâcher". Certains vont trouver la sonorité du mot absconse. A titre personnel, je trouve pourtant le mot coloré, presque poétique, il est d'ailleurs déjà couramment utilisé... au Québec. En outre, c'est un seul mot concaténé à partir de deux idées. Et de nouveau, il permet à des non-anglophones, de comprendre de quoi l'on parle. 
 
Mais les adeptes des séries et des films de cinéma vont-ils l'utiliser sachant que cela fait des années que l'on voit écrit "attention spoiler!" (ou son équivalent anglais "Spoiler Alert") ? Par ailleurs, le terme "spolier" existe en français, dans le sens de dépouiller quelqu'un par un abus, ce qui n'est pas si éloigné de l'idée de priver quelqu'un du suspense de la fin d'un film. N'aurait-on pas pu laisser coexister dans le dictionnaire français le verbe originel anglais "spoiler" et le verbe français "spolier" (français), l'un étant le sens dérivé de l'autre ? On fait bien du baby-sitting ? 
 
Je trouve plus inspiré d'imposer "responsable des réseaux sociaux" qui remplace judicieusement un terme anglais, qui pour une fois, est encore plus long (!) puisqu'il s'agit de "social media marketing manager" ! Mais je ne serais pas aussi enthousiaste sur le remplacement de "trafic manager", terme court et très usité, pour lequel la Commission préconise "responsable de la promotion en ligne." De toute manière, bien souvent les compagnies sont inernationales, les qualificatifs marketing sont donc en anglais.
 
Une certitude : l'histoire des tentatives de francisation bat au rythme de l'évolution des technologies et des usages de celles-ci. Parfois la Commission est à côté de la plaque (à mon avis pour Podcast), parfois elle a des éclairs de génie. Comme pour la traduction française de "FAQ", qui a conservé le même acronyme en français grâce à une astuce : la "Frequently Asked Questions" est devenue la "Foire aux questions". Résultat : aujourd'hui tout le monde dit "consultez la FAQ" sans se poser de questions si c'est anglais ou français ! :)
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