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Vidéo de sauvetage animalier : la vérité est-elle ailleurs ?

17 juin 2021 par Thierry Philippon


À mes heures perdues, j'ai repéré une vidéo de sauvetage d'animaux comme il en existe beaucoup sur le Web. Mais celle-ci est très particulière de par les milliers de réactions contrastées qu'elle a suscitées. C'est une vidéo sidérante par ce qu'elle révèle de l'interprétation des images, mais aussi par ce qu'elle traduit de notre société. Une société divisée, entre ceux qui s'enthousiasment et sont plein d'admiration devant un sauvetage, et ceux qui doutent de tout, dans un univers de réseaux sociaux où l'on peine à distinguer le vrai du faux. 
 
Mais que montre cette vidéo pour susciter autant d'antagonismes ?
 

 
L'action se passe aux États-Unis. Un amateur de vidéos surprend un raton-laveur sérieusement emberlificoté(e) dans la bâche d'une voiture. Le rongeur (qui s'avérera être une femelle) est tellement prisonnier de la bâche que le tissu l'étrangle et commence à l'asphyxier. Un homme arrive, se débrouille un peu maladroitement, faute d'outil adéquat, puis interpelle un voisin, et au bout de longues minutes qui paraissent interminables, le raton-laveur est délivré en découpant la bâche. Une fois libéré, l'animal, vivant mais groggy, semble se remettre doucement de cette mésaventure, parvenant à manger des croquettes pour chat. 
 
Plusieurs diffusions de cette vidéo ont eu lieu entre 2017 (États-Unis) et 2021 (France) sur les réseaux sociaux. En France, les réseaux sociaux classiques (Facebook, Orange...) l'ont largement relayée. La vidéo - c'est un détail important - a toujours été reprise dans un format d'environ 3 minutes avec musiques et gros titrages.
 
Immédiatement, cette vidéo a suscité des torrents de commentaires, aussi bien aux États-Unis qu'en France  : d'un côté une bonne partie des intervenants ont salué chaleureusement le geste du sauveteur principal qui se nomme Matt Helmick (il se fait appeler Freddy) et du voisin de fortune. Les plus élogieux ont publié des commentaires plein de ferveur sur la part d'humanité qui reste encore en chacun de nous. 
 
 
Mais une autre partie des commentateurs, en très grand nombre (plusieurs milliers), s'est étonnée de l'attitude du sauveteur principal, pointant du doigt "l'étrangeté" apparente de certaines de ses actions. Les commentateurs les plus catégoriques, moins nombreux mais très remontés, ont crié à la mise en scène (staged) sans l'ombre d'une hésitation. La fracture était née entre ceux traités de naïfs et ceux accusés de voir le mal partout. Alors qui dit vrai ?
 
Pour le savoir, il est instructif de pointer chacun des arguments, d'analyser la légitimité ou l'illégitimité du doute et tenter d'expliquer pourquoi une même suite d'images de 3 minutes, montrant les mêmes choses, et revisionnable 100 fois, peut à ce point être interprétée de façon aussi diamétralement opposée ! Je m'appuie aussi sur un fact-checking, l'original de la vidéo, 5 fois plus longue, apportant des éléments de réponse qui ne figurent pas forcément dans les vidéos montées (comme nous le verrons) de 3 minutes. Enfin, cette analyse permet aussi de présenter un marché méconnu, celui de la mise sous licence de vidéos réalisées par des amateurs et celui, plus sombre, des vidéo-fakes. 
 
Mais reprenons donc les arguments ayant déclenché au mieux des doutes, au pire des accusations de mise en scène. 
 
 
 

L'auteur a ajouté des gros titrages et une musique émotionnelle pour susciter la compassion et ainsi obtenir plus de vues

 
Si l'auteur est bien le seul responsable des images brutes et du sujet qu'il a choisi de filmer et montrer, en revanche il n'est ni l'auteur du montage ni de la musique ni des titrages. C'est ce que prouve sa vidéo originelle datée du 5 Avril 2017, intitulée "Neighbors rescue a Raccoon sentenced to death by hanging" (Des voisins sauvent un raton-laveur de la mort par pendaison). En effet, la vidéo d'origine reste dénuée de toute musique et de tout titrage. Notez qu'elle dure plus de 16 minutes, soit plus de cinq fois la durée de la version courte.
 
 

Et pourquoi l'auteur n'aurait-il pas créé une variante musicale avec titrages ? 

 
Pour la même raison. Parce que les versions de 3' qu'on peut voir sur FaceBook ou Orange n'ont pas été montées / sonorisées par lui. Cette signature (gros titrages + musique émotionnelle) résulte en fait d'un habillage d'une société spécialisée dans la récupération de vidéos de sauvetage, qu'il s'agisse d'humains ou d'animaux. La société se nomme jukinmedia.
 
Méconnue du grand public, la société jukinmedia repère, achète et orchestre la mise sur le marché de vidéos comme celle du raton-laveur de Freddy, sans relation entre les deux au départ qui ne se connaissent pas. Jukinmedia reprend le même habillage (musiques+titrages) pour les milliers de vidéos que la société diffuse depuis plusieurs années. La vidéo "jukinmediatisée" comporte alors le logo de la société dans l'espace "Description" sur YouTube.  
 
Comme l’explique Jukinmedia sur son site Web, l’entreprise travaille 24H/24, 7j/7 (!) en partenariat avec le Huffington Post, Facebook, des réseaux TV, des agences de pub qui présentent les vidéos virales du jour. Chaque "chercheur Jukin" visionne ainsi quelque 1 000 vidéos par semaine grâce à un logiciel conçu par l’entreprise pour rechercher des mots-clés dans les balises vidéo.
 
Les prix d'achat des vidéos ne sont évidemment pas divulgués, mais on sait que la vidéo passe alors sous licence d'exploitation, achetée en une fois ou avec un partage de rémunération selon le nombre de vues réalisées. Ensuite ces vidéos sont mises sur un marché où quelques sociétés tierces de medias (telles Féroce ou Newsner France) viennent piocher, pour alimenter leurs propres gros clients (Facebook, Orange). Il existe aussi des reprises sauvages, notamment sur YouTube, mais dans ce cas, c'est du piratage et c'est illégal. 
 
En conclusion, Freddy a certes, comme d'autres amateurs, donné forcément son accord pour l'exploitation de sa vidéo et a été probablement rémunéré pour cela. Mais ensuite le devenir de sa vidéo lui a échappé. On ne peut donc pas reprocher à notre homme d'avoir ajouté titrages et musique qui ne sont pas de lui et sur lesquels il n'avait aucun droit de regard. 
 
 
 

L'auteur a mis en place des gros moyens : un autre cadreur, du vrai matériel photo-vidéo...

 
Non, pas du tout :). L'auteur est seul à filmer. Il n'y a aucun 2e cadreur, sinon dans l'imagination de ceux qui ont visionné la vidéo un peu trop rapidement. Ce sont les circonstances du sauvetage qui peuvent donner cette impression car Freddy est d'abord en caméra portée, puis pose la caméra pour avoir les mains libres et mieux s'occuper de l'animal, puis reprend sa caméra à la fin quand il a les mains de nouveau libres. Le voisin qui intervient n'a jamais de caméra, sur aucune image et il ne filme pas, il possède juste un couteau de type cutter.
 
 

L'auteur filme la scène au lieu de s'occuper de l'animal

 
C'est un reproche simplement dû au fait que la scène est filmée. En réalité, Freddy ne cesse jamais de s'occuper de l'animal, excepté lorsqu'il va chercher ses gants et lorsqu'il s'interrompt en attendant le cutter du voisin, désespéré de l'inefficacité de son propre couteau.
 
Quant au matériel vidéo, Freddy a confirmé dans une mise au point publique qu'il a faite, avoir utilisé simplement son iPhone. Dans les rushes, on discerne d'ailleurs le smartphone - en vision subjective - glisser au sol durant quelques secondes, car le mobile a été calé très rapidement contre un pilier, et a fini par glisser en raison de sa forme bien connue qui est effectivement très glissante.
 
La vidéo datant d'avril 2017, il s'agit au mieux d'un iPhone 6, 6Plus, 6S ou 7. La quasi-totalité des smartphones d'aujourd'hui ont une qualité égale ou supérieure à ces mobiles d'ancienne génération. Le mobile de Freddy ne relève pas de ce qu'on peut qualifier de "matériel photo" particulier ni sophistiqué.
 

L'auteur fait durer le suspense en faisant exprès de couper avec un couteau qui ne coupe pas

 
Je me souviens avoir personnellement tenté de maîtriser mon propre chat sur une aire d'autoroute, alors qu'il s'était coincé une griffe en se débattant dans sa caisse. Je suis sorti les mains labourées, dans un grand stress... Dans ces cas-là, on ne réfléchit pas trop à la meilleure solution, on agit de manière désordonnée...
 
 
En réalité, l'homme n'a rien de tranchant sur lui, et il redoute un peu les griffes de l'animal qui s'agite. Le raton-laveur a une jolie frimousse mais c'est un omnivore-carnivore avec des griffes acérées (au passage l'anecdote veut que Freddy est impliqué dans l'acteur Freddy des Griffes de la Nuit) et un comportement qui peut être agressif. Regardez cette courte vidéo pour vous en convaincre. C'est du reste pour cette raison que notre homme va chercher des gants dans sa voiture, garée à proximité. Il utilise donc ce qu'il a sous la main, un petit couteau présent sur le porte-clefs de sa voiture. Mais une bâche de voiture, c'est épais, et ça ne se coupe pas ainsi ! Freddy explique que sa maison n'est pas à côté donc il n'a pas le temps (ou estime ne pas avoir le temps) d'aller chercher un couteau plus pointu. Il fera appel à un autre homme qui passe par là et qui possède un cutter. 
 
Tout ce qu'on peut admettre - ça n'en fait pas un coupable ! - est que Freddy s'y prend comme un manche. Il a trop peur du raton-laveur, d'autant que le risque de rage est rarissime (quelques cas par an aux États-Unis). Mais des gens dyspraxiques, ça existe...  J'en connais un paquet qui n'auraient pas mieux fait dans ce genre de situation  :)
 
Le deuxième gars s'y prend mieux, car en maintenant fermement l'animal, il ne risque ni de se blesser ni de blesser l'animal. Contrairement à ce qui a été dit dans certains commentaires qui assimilent les deux hommes, le second s'y prend plutôt bien.
 

Si l'auteur avait de louables intentions, il n'aurait pas filmé la scène

 
C'est le reproche qui revient le plus. Et le plus simple à deviner pourtant. Il faut distinguer ici l'aspect juridique et le phénomène YouTube
 
-sur l'aspect juridique, beaucoup n'ont pas réalisé que la voiture n'appartient pas à l'auteur. Freddy est donc en train d'endommager la bâche d'un voisin. C'est un délit d'infraction de dégradation de bien d'autrui. Une assurance aurait pu lui demander une preuve visuelle. Et pour le prouver, il fallait bien qu'il filme car personne ne l'aurait cru s'il avait simplement dit que c'était à cause d'un raton-laveur ! 
 
N'oublions pas non plus que dans un pays où les américains font un procès pour un oui ou pour un non, Freddy conservait auprès du voisin une preuve de la raison pour laquelle il avait endommagé sa bâche ! Freddy racontera d'ailleurs dans un commentaire que le propriétaire de la bâche était furieux, qu'il s'est disputé avec lui, et que ledit propro aurait dit qu'il aurait mieux fait de tuer le raton-laveur (sic).
 
 
Ce réflexe de "preuve" en rappelle une autre. En Russie, nombreux sont les automobilistes à s'être équipés d'une Dashcam pour lutter contre le phénomène de "l'accident prémédité" : des russes dans le plus grand dénuement n'hésitent pas à se faire volontairement heurter ("légèrement") par une voiture. Puis négocient une somme d'argent avec le conducteur qui cède pour ne pas avoir de problème avec la police ou l'assurance du véhicule... Seule la présence d'une Dashcam permet alors de prouver que le piéton s'est volontairement jeté sur la voiture.
 
-Enfin, sur l'aspect YouTube, Freddy assiste à quelque chose d'insolite et se dit qu'effectivement, ça pourrait faire des vues sur YouTube. "Se faire mousser" est dans la nature humaine et dans celle de Freddy qui s'enthousiasme à l'idée d'avoir sauvé un raton-laveur... Il se prend d'ailleurs pendant un moment pour un catcheur. Encore une fois, le faut de se vanter est humain, ça n'en fait pas un coupable ayant manigancé une mise en scène. 
 

Oui d'accord mais comme par hasard, la caméra est là dès le départ ?

 
Là je vous avoue que ça m'a intrigué. L'explication est donnée en partie par deux fois dans la vidéo originelle et ne peut donc être devinée. En fait, l'auteur vit près d'un parc où les ratons-laveurs circulent fréquemment (un peu comme nos écureuils dans nos parcs). De temps en temps, des bébés ratons-laveurs se retrouvent pris au piège, coincés au fond de bennes à ordures, dans lesquelles ils parviennent à descendre (si 'jai bien compris) mais dont ils ne parviennent jamais à remonter. C'est ce qui se passe dans cette autre vidéo (postérieure) de l'auteur. Freddy intervient dans ce cas...
 
Cette fois, avant même de voir l'animal coincé, une femme en voiture l'interpelle et s'inquiète d'un raton-laveur coincé. Freddy intervient donc avec sa caméra, avec l'idée au départ de filmer une simple scène de sauvetage dans une benne à ordures. Puis il croit que le raton-laveur se cache derrière la bâche avant de comprendre que l'animal est complètement coincé.
 
 

Sur l'image de fin, l'animal semble en pleine forme. Cela aurait été pris avant que cela ne m'étonnerait pas, avec le montage on peut tout faire.

Avec un montage on peut faire beaucoup de choses, oui. Mais justement on voit bien qu'il y a des coupes, donc des ellipses potentielles de temps. La réalité est plus simple : la vidéo originelle montre que le raton-laveur a mis plusieurs minutes pour retrouver un début de conscience et de normalité, totalement étourdi et peut-être un peu asphyxié et déshydraté par la position d'étranglement. 

 

Il paraît que beaucoup de vidéos de sauvetages d'animaux sont mis en scène

 
Oui ces vidéos existent, malheureusement. Nommées "fake rescue", elles expliquent sans le justifier, ce sentiment de défiance qu'on peut éprouver à la vue de certains sauvetages. En Asie centrale et du Sud-Est notamment, ce type de vidéo n'est pas rare. Celle-ci en est un exemple assez grossier que j'ai trouvé. Il y en a d'autres, régulièrement dénoncées par ces deux chaînes  : 
SomeOrdinaryGamers  et Nick Crowleys. En France, c'est la chaîne militante one-voice.fr qui s'en fait parfois l'écho.
 
Pourtant, il faut garder sa jugeote. Certains indices caractéristiques des "fake rescue" peuvent éveiller fortement les soupçons : d'abord une façon non-chronologique de présenter les scènes, un montage un peu trop travaillé (très découpé), une désactivation des commentaires (pour éviter toute contestation), une collégialité dans la mise en scène (1 personne filme une autre personne dès le départ), des regards caméras un peu trop fréquents, un mauvais jeu d'acteur. Bref, les signes sont là et nombreux. Le tout est de savoir les interpréter...
 

En conclusion

Pour synthétiser l'histoire du raton-laveur, on peut citer trois commentaires mesurés ou second degré qui résument bien la situation :
 
une première personne dit :
je ne saurais pas dire avec certitude que c'est fait exprès mais je me dit surtout que les vrais "héros" agissent discrètement, dans l'ombre...
 
une deuxième personne lui répond :
Oui mais maintenant la discrétion n’est plus de mise ! L’exhibition et faire le buzz sont la norme ! Comme vous le dites les vrais héros sont discrets !
 
la troisième conclue par un clin d'oeil :
le raton laveur est complice je lest déjà vue dans une autre vidéo c est un acteur je vais l'embaucher pour une scène ou je l'écrase et je le sauve après. j'espère que le scénario va lui convenir j'attend qu'il me réponde : contact : raton cascadeur 3 rue des chênes forêts de fontainebleau , si ça intéresse quelqu'un pour faire le buzzz
 
Quoi qu'il en soit, dstinguer le vrai du faux devient un sport à part entière !  :)
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