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Orchestres et musiciens confinés : mais comment ont-ils fait ?

22 avril 2020 par Thierry Philippon


UN AIR DE CONFINEMENT

Passé les premiers jours de confinement en Europe, dès le 20 Mars, deux vidéos musicales aussi inattendues que réussies ont été diffusées sur YouTube : ici un orchestre serbe jouant la chanson italienne entraînante et joyeuse "Bella Ciao" et là, le même jour, le Rotterdams Philharmonisch Orkest interprétant la 9e de Beethoven (L'Ode à la Joie), sous le titre "From us, for you" (De notre part, pour vous). Sur l'écran, des musiciens d'orchestres symphoniques confinés chez eux, habillés comme vous et moi, mais qui jouent ensemble avec fougue, sensibilité et virtuosité. L'idée-force : communier avec un public peu familier des salles de concerts classiques en interprétant des airs universellement connus capables de transmettre un message émotionnel grâce à leur force mélodique ou rythmique. Avec au premier-plan, en début ou fin de vidéo, un hommage appuyé aux personnels de santé qui se battent en première ligne contre le COVID-19.

Mues par cet élan, les initiatives se sont propagées comme une traînée de poudre. Sont ainsi apparus sur YouTube des orchestres nationaux ou régionaux européens, puis New Yorkais, Iranien, Israélien, de Toronto ou d'Afrique du Sud. Sont aussi entrés dans la danse des musiciens et chanteurs ne se produisant pas habituellement ensemble (cas de La symphonie confinée) à la différence des orchestres. Les résultats sont partout souvent très réussis, parfois inégaux mais la sincérité est toujours présente.

Si les orchestres et musiciens ont ressenti ce double besoin de s'exprimer et de communier, rien n'est sans doute dû au hasard : confinés chacun chez soi, les membres d'un orchestre, plus que toute autre structure peut-être, ne peuvent plus répéter ni s'écouter ni se produire, comme à l'accoutumée. Il fallait donc trouver un biais de pouvoir "jouer ensemble", en dépit du confinement. Et offrir un peu de gaieté ou de solennité dans cette période si tragique.

L'expérience est nouvelle mais elle a pourtant commencé 10 ans plus tôt (!), hors situation de confinement. C'est le composteur américain Eric Whitacre qui en eu le premier une idée comparable en rassemblant une cinquantaine de jeunes choristes, chacun chez eux, sur un même écran (puis plus tard 2000 choristes !), ce qui lui a permis de produire une vidéo mémorable intitulée "Lux Aurumque". Il raconte d'ailleurs lors d'une prestation à huis clos que chaque choriste avait bénéficié d'une vidéo de lui, mimant ses gestes correspondant aux mesures du rythme de la mélodie et d'une simple composition au piano pour se caler.

3 MILLIONS DE VUES

L'engouement pour ces "orchestres confinés", n'a pas échappé aux ensembles musicaux français. Dès le 29 Mars, après 12 jours de confinement, l'ONF (Orchestre national de France) a produit un Boléro revisité très relayé. Dans un tout autre registre, un guitariste a eu l'idée d'une "Symphonie confinée" sur l'air mélodieux "La tendresse" de Noël Roux / Hubert Giraud (qu'ont chantée Marie Laforêt ou Bourvil). A ma connaissance, ces deux vidéos françaises font partie des vidéos de confinement orchestrales ou musicales les plus vues sur le Web, toutes vidéos de confinement confondues. Il faut dire que les chiffres donnent le tournis : près de 2,5 millions de vues pour celle de l'ONF et plus de 3 millions pour la Symphonie confinée alors qu'une retransmission d'un orchestre classique dépasse rarement quelques milliers de vues sur YouTube. Seule celle du Rotterdams Philharmonisch Orkest, lancée dès le 20 Mars, atteint un nombre de vues aussi éloquent (2,6 millions de vues) avec son Ode à la Joie de Beethoven.

Mais peu importent les scores, pourvu qu'on ait l'ivresse. Le tour de force artistique et technique de toutes les vidéos de confinement, qu'elles quelles soient, laisse pantois. Chacun a réussi à réunir et synchroniser au sein d'un même écran les musiciens d'un orchestre qui jouent le même morceau alors qu'ils sont confinés chez eux. Et à obtenir un rendu sonore souvent de très grande qualité.

Mais justement, comment ces orchestres ont-ils ont procédé ? Jouent-ils réellement ensemble via une application de type vidéoconférence ? A défaut, comment s'y prennent-ils ? Tous ont-ils appliqué la même méthode ? Ont-ils rencontré de petites ou grandes difficultés ? Magazinevideo a mené l'enquête.

Les rêveurs et les geeks des réseaux en seront quittes pour une révision de leur jugement : non les musiciens ne jouent pas véritablement ensemble malgré le potentiel technologique des réseaux Web, et ce bien que les musiciens soient réunis dans une synchronisation parfois parfaite. Tous les orchestres dont nous avons étudié le travail (une bonne quinzaine), ont demandé à leurs musiciens de réaliser une vidéo individuelle, puis les vidéos ont été rassemblées au montage. Cette logique inclut même la plus grande chorale virtuelle au monde de 700 enfants (!) qui a joué Giacomo Puccini, "Nessun dorma". Chaque enfant, guidé par un karaoké d'opéra disponible sur l'application Scuola InCanto, a bien envoyé une vidéo.

TROP DE LATENCE POUR JOUER ENSEMBLE

L'idée selon laquelle les musiciens d'un orchestre auraient pu jouer ensemble en se voyant les uns les autres, et - mieux ! - en suivant le chef d'orchestre, n'est pas stupide à la base. Cette idée est influencée à la fois par la grande qualité du synchronisme mais aussi et surtout par l'existence d'applications qui permettent - à la manière d'une vidéo-conférence - de réunir plusieurs intervenants en même temps. La plus connue d'entre elles, Zoom, est d'ailleurs une application qu'on a beaucoup vue ces derniers temps mais elle est plutôt conçue pour une communication entre des intervenants s'exprimant les uns APRÈS les autres, et surtout, sans nécessiter aucun synchronisme ni temps réel parfait, ce qui change tout. En effet, le problème majeur de ce type d'application est le lag (=le délai, la latence), un phénomène bien connu qui désigne le temps nécessaire à un paquet de données pour passer de la source à la destination à travers un réseau comme le Web.

En effet, le réseau peut ne pas posséder une bande passante suffisante, ou bien les paquets de données peuvent passer par un grand nombre de "routes" différentes avant d'atteindre leur destination. Or un retard, même infime, en matière musicale, s'avère trop compromettant pour jouer ensemble. Et quand on multiplie les intervenants, il est quasi irréalisable d'obtenir un final synchronisé. A cela s'ajoute le risque toujours possible d'une seule coupure réseau qui pourrait compromettre l'ensemble de la prestation ou contraindre à la répéter au moindre incident.

Certains ont tenté malgré tout l'application Zoom. C'est le cas des 10 membres d'un groupe acappella très connu aux USA, Straight No Chaser qui expliquent justement dans un live Zoom que (traduction) "personne n'a pu chanter / se produire sur le live Zoom, sauf à être en solo. Il y a trop de latence. On les voit d'ailleurs s'essayer ici avec toutes les difficultés que cela présente.

Néanmoins, le groupe Straight No Chaser a réalisé la prestation visible sur Zoom dans la vidéo ci dessus, très rare. Explication : elle a bien été réalisée avec l'application Zoom, et les caméras Webcam de leurs ordinateurs, mais les musiciens se sont enregistrés chacun chez soi avec une bande-son préalable et un clic-track. L'un d'eux a réuni les vidéos et mixé les sons au final en reconstituant un Live sur Zoom.

LE SMARTPHONE, CLÉ DE VOÛTE DE LA RÉUSSITE

Les orchestres en confinement - à l'initiative d'un musicien, d'un producteur audio-vidéo, ou d'un chef d'orchestre - se sont donc tourné vers l'option de demander à chacun des musiciens de réaliser une vidéo individuelle de l'oeuvre musicale. Puis d'envoyer celle-ci à un monteur (ou monteur-mixeur) chargé d'assembler et d'intégrer dans un grand kaléidoscope les vidéos de chaque musicien !

Première trouvaille. Tous les musiciens se sont filmés avec un appareil photo, une ancienne caméra ou (le plus souvent) un smartphone plus ou moins perfectionné. C'est un outil diabolique qui a été au coeur de cette réussite. Car sans smartphone, il est probable qu'une majorité de musiciens n'auraient pas pu se filmer. On perçoit d'ailleurs les différences qualitatives de piqué d'une vidéo de musicien à l'autre, correspondant aux différences qualitatives des smartphones. Tous ou presque, ont calé leur appareil de façon à ce qu'il ne bouge pas. Un tromboniste facétieux a même accroché sa caméra sur son trombone !

Chacun s'est ensuite enregistré, souvent en répétant les prises. Car nombreux sont ceux qui ont peiné à cet exercice et ont avoué la difficulté. Ou ont cherché à offrir la meilleure prestation. La vidéo de "Qu'est-ce qu'on attend pour être heureux" montre même un bêtisier caractéristique des efforts que certains ont dû produire pour répéter les morceaux, parfois dans une solitude intersidérale ou avec des spectateurs dans le cadre (un chat, des enfants...)...

Quelques organisateurs en chef ont donné des consignes, par exemple Jeremy Tusz, le producteur audio-vidéo du Milwaukee Symphony Orchestra a coordonné les musiciens en leur précisant d'éclairer suffisamment eux-mêmes et leur instrument. Mais par contre il n'a pas précisé de réaliser une vidéo horizontale ou verticale, et a dû "faire avec" au montage. :) De même le guitariste de la symphonie confinée (la Tendresse) a donné de simples consignes "en essayant de capter un son et une image les plus propres possibles" mais sans donner davantage d'indication artistique, ce qui procure une tonalité très naturelle, un peu amatrice, aux vidéos.

Puis les vidéos ont été envoyées via des outils de transfert tels que WeTransfer, Smash ou GDrive, le service de Google. La transmission de dizaines, parfois de centaines de fihciers, est paradoxalement ce qui a posé le moins de problèmes. Elle n'a d'ailleurs rien coûté aux participants (hormis en consommation de ressources) attendu que les services de transfert acceptent d'envoyer de 2 Go à 15 Go gratuitement par ces biais. Mais cette procédure s'est accompagnée de certaines contraintes techniques fortes : ainsi pour cette violoniste de l'ONF qui ne possédait qu'une ligne à faible débit, envoyer une vidéo a nécessité jusqu'à 13 heures de délai !

Le "décryptage" de vidéos fortement compressées par des smartphones, n'a pas posé de problèmes techniques aussi aigus que les monteurs auraient pu le craindre. Certes, d'une caméra à l'autre, d'un smartphone à l'autre, les résolutions et les fréquences peuvent varier fortement allant du 720p au 4K en passant par du 1080p, vertical ou horizontal ! Mais les logiciels de montage encaissent facilement aujourd'hui les différences de formats en les unifiant, en fonction du premier fichier posé ou du paramétrage du Projet. Quant à la qualité, même si un oeil expert ou un amateur averti perçoit instantanément les différences, celles-ci ne sont pas trop préjudiciables, puisqu'au final, les vidéos sont destinées à s'afficher dans des vignettes de taille plus ou moins réduite.

UN TOUR DE FORCE, SE SYNCHRONISER

Dans les commentaires des vidéos reviennent souvent la même question : comment les musiciens se sont-ils synchronisés puisqu'ils ne se voient pas les uns les autres, et ne peuvent suivre davantage le chef d'orchestre (même s'il est souvent intégré à chaque vidéo). Notre enquête a pointé qu'il existait des variantes dans l'approche technique qu'on retrouve dès les premières vidéos diffusées sur YouTube. Cependant, malgré ces variantes, tous ceux que nous avons interrogés ou dont nous avons lu les explications, ont utilisé une même base reposant sur une même "référence audio" qu'ils écoutent. C'est pourquoi l'immense majorité des musiciens dispose, tout en jouant, d'une oreillette ou d'un casque Hi-Fi.

Certains ont adopté comme référence audio un enregistrement préalable existant. C'est le cas du Milwaukee Symphony Orchestra ou de l'Orchestre les Aéronautes qui joue Libertango. Ses musiciens ont joué tout en écoutant dans l'oreillette l'interprétation d'un autre orchestre mais ils avaient déjà interprété ce morceau en concert, et possédait donc déjà la connaissance et la partition du morceau.

D'autres on adopté le principe d'un repère au tempo qui s'exprime en battements par minute (bpm), et un "click-track" (voir explications click-track ici). Ce tempo permet d'ailleurs - hors confinement - à des musiciens de s'enregistrer en studio les uns après les autres. Sauf qu'ici cette technique est utilisée pour coordonner un ensemble.

Le tempo a pris d'autres formes : pour les Musiciens du NY Philharmonic, ou du Toronto Symphony Orchestra, c'est un simple métronome écouté dans l'oreillette qui a servi de rythmique. Pour la Symphonie confinée, c'est une piste de guitare seule et de guitare/voix de l'initiateur du projet qui a servi de repère. Dans une logique proche, c'est un unique instrument préenregistré (un piano), qui a permis à chaque musicien de suivre le rythme de l'Orchestre l'Inattendu (Pays de la Loire), qui joue et chante "Qu'est-ce qu'on attend pour être heureux". On remarquera dans le "bêtisier" de cette même vidéo un clap général de tous les musiciens comme on en fait au cinéma, clap qui sert de démarrage et de repère au monteur Jérôme Damien et au mixeur Vincent Carlier. C'est également ainsi qu'ont procédé les musiciens de l'Orchestre National de Lyon et beaucoup d'autres sans doute.

D'autres sont allés plus loin avec le besoin de vérifier si le synchronisme allait vraiment fonctionner. Ainsi l'orchestre Arctic Philharmonic a préféré créer une vidéo intermédiaire avec 1 puis 2 musiciens pour s'assurer du fonctionnement du synchronisme. Puis se servir de cette base pour le reste des musiciens.

Comme l'évoque Isaac Trapkus (monteur audio / vidéo) et Kyle Zerna (assistant) du NY Philharmonic, ce même souci de bien faire s'est aussi exprimé chez certains musiciens qui ont éprouvé le besoin de recommencer un certain nombre de fois les prises, selon leur degré de perfectionnisme. Ainsi pour l'Orchestre national de France, il y a 51 musiciens réunis mais le monteur a reçu entre 100 et 150 vidéos, soit 2 à 3 vidéos par musicien !

FINAL CUT, PREMIERE, DAVINCI, IMOVIE, AUDACITY

Une fois les précieuses vidéos récupérées, le travail méticuleux de montage et de synchronisme a pu commencer. Notre enquête montre qu'il y a presque partout trois constantes : d'abord un grand enthousiasme et savoir-faire de la part des mixeurs-monteurs avec une bonne, voire très bonne connaissance de leur(s) logiciel(s); d'autre part l'utilisation de logiciels professionnels bien connus des monteurs et des mixeurs. Ces logiciels professionnels sont variés même si on retrouve pour l'image une nette dominante de montages effectués sur Final Cut Pro X, Premiere Pro ou DaVinci Resolve. Pour le son, les logiciels utilisés qui reviennent le plus sont Audacity, Cubase, ProTools, Auto-Tune, Pyramix et Spat Révolution.

Quelques orchestres font exception, comme le Corona Orchestra qui a utilisé les modestes logiciels VideoPad et OpenShot Video Editor ou surtout le New York Philharmonic (Boléro) qui s'est dispensé de tout logiciel complexe professionnel ni connaissance approfondie. L'initiateur et monteur du projet a simplement utilisé le fameux lecteur VLC pour extraire l'audio des vidéos et Handbrake pour convertir et compresser les vidéos qui étaient trop lourdes ou dans des formats exotiques. Puis il a utilisé Audacity (*) pour supprimer les bruits d'arrière-plan, aligner et établir les balances audio, puis mixer le tout sur une seule piste master. Puis c'est le logiciel gratuit HitFilm Express ("Express" étant la version gratuite de HitFilm) qui a servi à aligner les vidéo- clips et compartimenter les différents groupes à l'écran... C'est moins léché que sur d'autres vidéos mais ça fonctionne !

L'Orchestre National de Lyon (L'Arlésienne de Georges Bizet) a aussi réalisé une belle performance en utilisant les petits logiciels iMovie pour l'image et GarageBand pour le son.

(*) C'est également Audacity dont on est sidéré d'apprendre qu'il a permis de mixer l'énorme succès de la Symphonie confinée.

La dernière constante est qu'il aura fallu un certain temps (de confinement !) passé à monter / mixer. Les vidéos durent entre 2 et 6 minutes. Pour le Boléro de l'ONF, l'opérateur vidéo à Radio France, Dimitri Scapolan, a estimé avoir passé 35 à 40 heures au total. Le monteur du Toronto Symphony Orchestra a quant à lui eu besoin de 48 heures uniquement pour synchroniser les sources !

Avec un portable (laptop) récent, le rendu des seules 20 dernières secondes de la fin a nécessité 6 heures... C'est d'ailleurs à ce même problème que s'est confronté l'Orchestre National de France. En monteur avisé, Dimitri Scapolan de l'ONF a utilisé des fichiers Proxy et a finalement conformé, tellement sa machine refusait de "jouer" dix couches de vidéos superposées en même temps (et il en avait 51 !).

Il est arrivé la même mésaventure au producteur audio / vidéo du Milwaukee Symphony Orchestra qui a dû compiler 5 ou 10 musiciens à la fois (au lieu de 64 au final) et faire tourner sa machine chaque nuit pour le rendu et vérifier le résultat, le matin venu ! Lui aussi estime avoir travaillé pendant environ 40 heures mais s'il devait le refaire, il précise qu'il irait sans doute plus vite.

CONCEVOIR LES MOSAÏQUES

Pour concevoir les mosaïques de musiciens, plusieurs monteurs (Arctic Philharmonic, ONF...) ont utilisé la même technique : des calques de mosaïques réalisés sous Photoshop et importés dans le logiciel de montage pour répartir les vidéos selon différentes compositions visuelles, en rythme avec la mélodie. Le monteur de l'ONF (et peut-être d'autres) ont avancé par progression en réunissant d'abord 21 puis 35 musiciens, puis 51 musiciens. Certains comme Arctic Philharmonic ont ajouté des effets de coloration, non pas pour homogénéiser les couleurs mais au contraire, pour mieux différencier les musiciens les uns des autres.

Une anecdote a caractérisé le monteur du Milwaukee Symphony Orchestre, c'est que son final avait 64 cases (8 x 8) alors qu'il avait 65 musiciens ! Heureusement certains étaient en couple et un couple a accepté d'être réuni, solutionnant le problème qui se serait aussi posé s'il n'avait eu que 63 musiciens... Parfois le hasard tombe bien :)

LA PRISE DE SON

Côté son enfin, plusieurs choses sont étonnantes. D'abord il n'existe aucun play-back connu, du moins pour ceux dont nous avons pu récolter les informations. Les seules exceptions revendiquées ne sont pas des play-backs mais des ajouts musicaux : ainsi le Rotterdams Philharmonisch Orkest commence par le vrai son des instruments et finit (de 3'08'' à 3.57'') en ajoutant une version préenregistrée des choeurs qui n'était pas intégrable autrement. De même l'Orchestre national de France commence par le son réel des instruments des musiciens puis mixe le tout à partir de 2'25'' avec une bande-son préenregistrée en auditorium en 2015. Il faut dire que l'oeuvre jouée, le Boléro de Ravel, met en oeuvre une orchestration qui se joue habituellement dans un Auditorium ! On pourra noter à ce sujet que l'oeuvre du Boléro a été réarrangée sur le logiciel de composition musicale Sybellius, pour être plus courte, afin de simplifier autant que possible le travail de captation et de montage et aussi pour convenir à un public plus large, l'important étant le partage et la communion.

Pas de play-back signifie que le son qu'on entend est bien celui enregistré par des appareils enregistreurs (smartphones en majorité) normalement guère prévus pour ce type d'enregistrement. Ajoutez le rendu acoustique de chaque pièce qui varie énormément selon que vous enregistrez dans un intérieur tapissé ou dans une grande pièce quasiment vide. Tenez compte également de l'emplacement des smartphones (et donc des micros), certains produisant une tonalité claire, d'autres une tonalité plus sombre, sans compte la distance du micro, soit tout près de l'instrument, soit plus loin ! Or la qualité acoustique des vidéos est souvent bonne, voire très bonne !

LES SECRETS DU MIXAGE

Certains ingénieurs sons comme l'opérateur vidéo de l'ONF ou celui de l'Artic Philharmonic ont ajouté de la "réverb" et de la spatialisation. Enfin, et c'est peut-être la surprise la plus étonnante de ces orchestres confinés, le rendu sonore des micros a finalement fonctionné beaucoup mieux que prévu. Plusieurs ingénieurs / monteurs sons le disent : les micros des smartphones ont un limiteur auto qui certes, atténue la dynamique du son quand on enregistre un instrument, mais permettent de ressortir un son assez propre malgré tout. Celui-ci est alors paradoxalement plus facile à mixer ensuite avec d'autres instruments. Et après mixage, le mélange des sons obtenus procure une "moyenne acoustique" pas désagréable à l'oreille. Ca n'avait jamais été tenté avant de cette façon, mais on sait maintenant que cela peut fonctionner !

Autre explication à ce "tour de magie" : un travail d'orfèvre de la part des monteurs sons, eux-mêmes musiciens, qui ont pu égaliser les sons, régler les gains, grâce à leur bonne oreille et des logiciels adéquats. Parfois le rendu n'est pas parfait, on perçoit de légers désynchronismes, mais c'est souvent très bon, surtout pour le public visé (le grand-puiblic) qui n'entend pas forcément des subtilités sonores que seuls des musiciens ou des monteurs sons entendent.

Ensuite la bonne réussite des mixages tient à l'utilisation de logiciels capables de traiter de multiples couches sonores, en appliquant des filtres de réduction de bruits. Cette tendance à supprimer les bruits revient très souvent, y compris dans le très émotionnel Milwaukee Symphony Orchestra pour lequel le monteur a dû parfois filtrer des paroles impromptues ou des enfants qui jouent ! Bref, un vrai travail d'orfèvre.

Parmi les particularismes, on notera un travail de montage plus élaboré pour le Cape Town Philharmonic Youth Orchestra qui mélange de jeunes musiciens en confinement et des images prises depuis un drone. Le mélange est particulièrement réussi !

Un coup de chapeau à la "Symphonie confinée" qui combine une grande proximité avec le spectateur, une forte humanisation, et une justesse acoustique de Valentin Vander, le directeur artistique et de sa soeur, Julia Vander, qui a monté sur Premiere Pro. Le principe adopté est un peu différent car chaque intervenant alterne avec un autre alors que tous ont joué ou chanté la chanson complètement. Le guitariste-chanteur a donc dû faire des arbitrages difficiles pour choisir et enchaîner le meilleur moment de chacun. Tous les intervenants sont toutefois réunis dans la scène finale.

Remarquable également, le rythme lent et la belle correspondance images-sons du Milwaukee Symphony Orchestra qui joue le thème à décrocher des larmes "Enigma, Op. 36 - Variation IX (Adagio) “Nimrod” by Edward Elgar". On remarquera également les effets de zoom très lent, peu ou pas utilisés dans d'autres vidéos et qui ont dû donner bien du travail de rendu au monteur ! On notera l'astucieuse et émouvante mosaïque du début intégrant une composition de 4 musiciens et 5 cartons énonçant ces mots touchants "From our Home to Yours" (Depuis notre maison vers vous). La vidéo est d'autant plus poignante qu'elle rend hommage à Walter Robb, un ingénieur et philanthrope américain, par ailleurs membre bienfaiteur de l'Orchestre, décédé le 23 mars 2020... du COVID-19.

On apprécie aussi tout particulièrement l'initiative de l'Orchestre National d'Iran, lui aussi confiné, dont une partie des musiciens ont interprété une oeuvre majeure de leur pays ("Sabokbaal" de Hossein Dehlavi). Il faut en effet saluer le fait d'être présent sur YouTube, alors que le service de partage n'est pas accessible aux iraniens eux-mêmes, hors VPN.

(toutefois au moment où nous écrivons, l'oeuvre jouée semble faire l'objet d'une réclamation pour droits d'auteur).

Peut-être la palme de la qualité d'image revient-elle à l'initiative "A Hope for the Future" : 30 trompettistes de 14 pays se sont réunis pour jouer "ensemble" une composition musicale doux et amère de jazzz spécialement composée pour l'occasion. Chaque trompettiste est très connu et le soin apporté à l'image (et à la musique bien sûr) est ici prépondérant, avec une qualité d'image supérieure à la moyenne pour la plupart des instrumentistes. Cette qualité d'image améliorée s'explique par des consignes de prise de vues et le recours, pour la plupart à des caméras plus perfectionnées que des smartphones.

ÉPILOGUE...

Ces expériences touchantes d'orchestres et de musiciens en confinement auront témoigné la capacité des humains à communier par le biais d'une langue universelle, celle de la musique, qui se joue des frontières. Et de rendre au passage un bel hommage à ceux qui sont applaudis tous les soirs.

Ces prestations online permettent aussi, de rappeler, combien les musiciens ressentent ce besoin vital d'être ensemble et de s'adresser à des auditeurs. Si vital qu'ils ont accepté pour la grande majorité d'entre eux d'être réunis en tenue désacralisée, sans fard ni maquillage. Cette aventure aura aussi démontré le talent des monteurs et des mixeurs qui, avec une bonne oreille, de la patience et beaucoup de méthodologie, sont capables d'obtenir un résultat musical et visuel probant. Au point de faire croire que l'orchestre est physiquement réuni.

Contre un virus destructeur, l'arme de la création est sans doute bien dérisoire mais tellement indispensable...

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Bbn Invité
Merci pour ce superbe article parfaitement illustré et détaillé. La chorale des Petits Ecoliers Chantants de Bondy a publié 6 vidéos sur le même principe également, en utilisant les logiciels MAGIX Video et Filmora9 : https://www.youtube.com/choraledebondy/videos
titof44 Invité
Bonjour et merci Thierry pour cette très belle et documentée explication bravo!!!

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