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L'art de filmer les lieux d'un tournage

Entretien avec Maxime Ritter

 

30 septembre 2017 par Maxime Ritter / entretien Thierry Philippon

 

Maxime ritter

Les lieux de tournage de films sont toujours un peu fascinants, car ils sont rarement choisis au hasard. Certains sites sont très connus comme les décors de la saga du Parrain de F.Ford Coppola, ceux d'Indochine de Régis Wargnier, de certaines îles d'Hawai où ont été tournées King Kong et Indiana Jones, ou la célèbre plage de Thaïlande qui est au coeur du film the Beach avec Leonardo Caprio.


D'autres lieux sont moins célèbres comme ceux qui ont servi de décor au film de Gérard Krawczyk, l'Été en pente douce, sorti en 1987. Une chronique douce-amère de la France profonde qui met en scène un marginal et des personnages louches, évoluant autour d'un pivot central : la troublante et sensuelle Pauline Lafont, dont ce fut le premier grand rôle, un an avant sa mort accidentelle.


Maxime Ritter, un étudiant en cinéma, a cherché à découvrir les lieux du tournage, 31 ans après ! Il a imaginé à cette occasion un montage parallèle "autrefois / aujourd'hui", reprenant très exactement certaines scènes du film, avec une précision d'angle de vue la plus parfaite possible, malgré les petits moyens dont il disposait. Voici comment il a procédé.


Photos et montage : © Maxime Ritter



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L'entretien

affiche

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QUESTIONS « TECHNIQUES »

 

Magazinevideo : Dans quel ordre avez-vous pris les choses : avez-vous d’abord ressenti un intérêt pour ce film de Gérard Krawczyk puis vous êtes parti en quête des lieux, ou les lieux étaient-ils déjà connus de vous et vous avez décidé de vous intéresser au film de plus près ?

Maxime Ritter : Tout est parti du hasard, mon frère rentrait de Saint-Gaudens pour rejoindre Toulouse, et un poids-lourd couché sur la route l’a fait dévier sur le village de Martres-Tolosane. Lui qui avait vu le film à tout de suite reconnu, depuis la petite route principale, sur la droite, le garage des frères Voke. Il savait vaguement que le film avait été tourné dans la région, mais ne savait pas exactement où... Il s’est donc arrêté pour prendre quelques photos.


Encore un fruit du hasard, ce même jour, je cherchais des films à voir dans la collection de DVD de ce même frère… Je tombe sur « l’été en pente douce ». Film que je n’avais pas vu, mais dont j’avais entendu parler.


C’est en voyant les photos de mon frère le soir même sur Facebook, et en apprenant la localisation proche de Toulouse, du village, que j’ai eu l’idée de faire un nouveau « avant/après » sur les lieux de tournage de films cultes, ayant marqué une époque.
J’ai ensuite visionné ce film, d’une part pour le découvrir, puis pour m’imprégner de son ambiance, de ces spécificités, pour la réalisation du montage.


 


MV : Aviez-vous à l’avance une idée précise des scènes que vous pourriez inclure dans votre montage ?

M.R. : A chaque montage « Avant/Après » je m’efforce d’inclure le maximum de scènes, de plans. Lors du premier visionnage du film, j’ai repéré les scènes « incontournables » qui devaient absolument figurer dans mon montage. Par exemple, la promenade de Pauline Lafont et Jacques Villeret au centre du village (à 3’08’’).


 


MV : Ce film a-t-il une spécificité qui rend le « montage en parallèle » tel que vous l’avez fait, plus accessible ?

M.R. : Les films mettant en scène des ambiances, des atmosphères particulières me marquent beaucoup. Ici, avec « l’été en pente douce », c’est la forte chaleur d’un été, l’isolement d’un garage, qui aussi est un lieu de passage, des personnages perdus, en marge de la société, un peu comme le film « Bagdad cafe ». Tous ces éléments ont fait émerger en moi une multitude d’idées afin de retranscrire, par le biais de la technique, cette ambiance si particulière. C’est par exemple l’utilisation, sur les nouveaux plans d’un étalonnage « chaud », ou bien des sons d’insectes, que nous trouvons en bord de route ou dans les champs l’été (présent dans l’introduction du montage à 1’15’’).


lafond villeret

MV : De nombreux lieux ont à peine changé 31 ans après, à l’image de votre plan à 1’07’’ sur la route qui borde le garage Voke frères, mais aussi de nombreux autres lieux. Est-ce ce caractère immuable qui vous a décidé d’imaginer un montage avant / après ?

M.R. : Bien au contraire, mes motivations ont été de montrer et de mettre en scène l’influence du temps sur ces lieux, et donc leurs différents changements, et évolutions. Ces lieux ont vécu bien avant le tournage, et vivent encore aujourd’hui. Ces derniers, pour la plupart, ne sont pas des décors de studio, montés de toute pièce. Par exemple, le Garage Voke Frères fût un vrai garage, en service, bien avant le tournage. Puis, l’arrivée de la déviation à ensuite entraîné sa fermeture, c’est dans ce contexte que le garage fût découvert par l’équipe du film.


 


MV : Le grand nombre de plans en extérieur que comporte le film et le cadre naturel préservé, a t-il pesé dans la balance ?

M.R. : A ce moment-là j'avais vu certains films, qui me faisaient penser à « L'été en pente douce » comme « L'été meurtrier » de Jean Becker. On retrouve à chaque fois un peu le même cadre : Un petit village de campagne durant l’été, le soleil, la chaleur… et ainsi une majorité de plans tournés à l’extérieur. C’est surtout cette ambiance, cette atmosphère qui a pesé dans la balance.


J'ai grandi à la campagne, non loin de Martres-Tolosane, ce cadre ne m'est donc pas vraiment inconnu...


 


MV : Comment avez-vous procédé pour les repérages ? Temps passé, méthodologie, avez-vous dû questionner les habitants ? Car il y a des endroits précis comme celui où Villeret « s’excite » en traversant la route, qui ne devaient pas être évidents à localiser ?

M.R. : J’ai entrepris la totalité des repérages à l’aide de « Google Map » et de son outil « Street View » qui est très pratique.


J’ai donc effectué un nombre important de comparaisons entre les plans du film et les images « Street View » actuelles des rues, des routes du village, et de ces alentours. Cela a dû me prendre plus d’une semaine.


La route où Jacques Villeret arrête la circulation se situe à la sortie du centre-ville (rue Saint-Roch). Cette dernière a également été filmée plus tard dans le film, dans l’autre sens, lorsque Pauline Lafont monte dans la voiture de Guy Marchand. J’ai pu mettre en relation ces deux plans et les localiser grâce à une grande masse de feuillage, une montagne dans l’horizon, ainsi que certains bâtiments, encore présents aujourd’hui. A chaque fois ce sont des détails, des éléments du paysage, qui me permettent de localiser les plans.


Pour les plans de l’église, nous supposons dans le film que c’est celle de Martres-Tolosane. Hors, dans la réalité ce n’est pas le cas. J’ai donc entamé une recherche des façades d’églises des alentours dans « Google Image ». C’est en fait celle de Roquefort sur Garonne, un village voisin de Martres-Tolosane.


 


MV : Vous ne vous êtes pas contenté de retrouver les scènes du film mais avez respecté les angles de vues à chaque fois que c’était possible. Comment vous vous y êtes pris, techniquement parlant ? Aviez-vous une tablette ou un smartphone, ou des photos de chaque scène en guise d’écran de contrôle ?

M.R. : J’ai en effet amené avec moi une tablette sur laquelle je passais le film. Elle me permettait d’accéder à des scènes spécifiques, et ainsi aux angles de vues et mouvements de caméra à reproduire. Mon frère et moi avons également utilisé des impressions papier de l’ensemble des plans, caps à reproduire. Ces deux outils nous ont été très utiles afin d’être le plus fidèle possible au film.


 


MV : Vous incrustez parfois les personnages d’il y a 31 ans (comme à 6’40’’ et surtout à 7’ avec la scène du Crédit Agricole) dans les lieux actuels. Avec quel logiciel avez-vous effectué ces incrustations qui sont très bien faites ? Ont-elles été difficiles à réaliser ?

M.R. : La première étape consiste à détourer le plus proprement possible avec Photoshop les éléments du film, à partir d’un « caps » (capture d'écran). Étape qui ne fût pas facile en raison de la faible résolution du film…(le film est uniquement disponible sur un DVD "non officiel").


La seconde étape est de superposer, le plus fidèlement possible le « caps » complet, et ses éléments détourés sur la reproduction du plan avec "Première Pro". Enfin, il ne reste plus qu’a incorporer un fondu, pour une intégration et un "avant/après" relativement fluide. Pour le plan du Crédit Agricole, je n’ai pas eu besoin de détourer. Une simple superposition puis un masque avec un contour progressif fût suffisant avec "Première Pro".


 


MV : Contrairement à la plupart des personnes qui reviennent sur des lieux célèbres, vous avez utilisé la vidéo (et non des photos) et poussé le jeu jusqu’à reproduire les mouvements. Comme à l’extérieur de l’église de 7’48’’ à 8’09’’. Répétiez-vous beaucoup (avec un chronomètre) pour parfaire ces mouvements ?

M.R. : Pour cela je regardais la durée du plan sur la tablette avant de compter dans ma tête les secondes. Pour d’autres plans je m’efforçais de regarder en même temps la tablette et l’écran de mon appareil, le tout en essayant de reproduire le même mouvement, en direct avec mon trépied. C’est le cas à 5’03’’ lorsque Pauline Lafont et Jacques Villeret rentrent au garage. Par la suite, au montage je synchronisais au mieux les deux mouvements.


Par ailleurs, je n’avais ni grue professionnelle, ni drone, pour reproduire le mouvement dévoilant le garage bordant la route, au début du montage, et celui de l’extérieur de l’église… Mon frère qui m’a accompagné sur le tournage eut alors l’idée d’utiliser une échelle. Je me revois donc en plein milieu de la route, en haut de cette échelle, à faire mon plan ! Nous avons fait tout de même attention, en mettant un triangle de signalisation. Cette méthode est un bon compromis. Le résultat est plus que correct, en partie grâce aux 7 axes de stabilisation de mon appareil (Hybride Lumix GX80).


maxime ritter

 

QUESTIONS NON-TECHNIQUES

 


MV : Avez-vous eu des déceptions ou au contraire de bonnes surprises : déceptions avec des éléments de décors qui étaient devenus trop différents. Et vice versa, des éléments dont vous pensiez que le temps les avaient modifiés et qui étaient toujours intacts ?

M.R. : J’ai eu en effet des petites déceptions, avec la nouvelle voirie au bout de la rue « Saint-Roch », là ou Pauline Lafont monte dans la voiture de Guy Marchand (à 6’18’’)… Le sens de circulation n’est maintenant plus le même. Il y a également un petit parking sur la droite ainsi qu’un rond-point quelques mères après. L’image « Street View » datait d’avant les travaux, nous avons découvert ces transformations avec mon frère le jour des prises de vues.


Néanmoins, j’ai été particulièrement touché et impressionné par l’ambiance qui se dégage du garage des frères Voke, premier lieu auquel nous nous sommes rendus. De plus, nous y sommes allés durant le mois de juillet, avec cette chaleur d’été semblable au film, et à sa période de tournage. J’avais revu le film une deuxième fois la veille. La façade de ce dernier n’as pas beaucoup changé, à part les quelques lettres effacées… C’était un peu comme si je m’incrustais dans le film ! Globalement, l’ensemble des lieux n’a pas beaucoup changé en 31 ans.


 


MV : Hormis Jean-Pierre Bacri et Guy Marchand, Pauline Lafont, Jean Bouise, Jacques Villeret sont partis… Face à cette inexorable cruauté du temps, le cinéma permet de faire revivre les acteurs… Vous, vous les faites revivre de façon encore plus réelle en incrustant les acteurs dans les décors actuels…

M.R. : Ce montage est une forme d’hommage au film, aux acteurs et au réalisateur. En effet, ces incrustations, permettent d’une part de faire revivre les acteurs. D’autre part, ces incrustations ont surtout permis d’offrir des "avant/après" techniquement originaux. C’est très intéressant de reconstruire, à partir de deux plans, ayant plusieurs années d’intervalles, un seul et même plan.


 


MV : Il y a un vrai travail documentaire dans votre montage parallèle comme l’épicerie « Epargne » à 3’42’’ dont l’enseigne n’existe plus aujourd’hui, remplacé par une faïencerie d’art et à côté un salon de coiffure Hair’ coif, ou à 4’06, une route toute droite remplacée par un rond-point, signe de l’évolution du réseau routier. Vous aviez cette idée documentaire en tête ?

M.R. : L’épicerie était un véritable magasin « Casino ». Le gérant a d’ailleurs joué son propre rôle, donnant la réplique à Jacques Villeret ( à 3’41’’).


Je n’ai pas vraiment pensé à une idée documentaire. Néanmoins, inconsciemment il est vrai que cette vidéo peut avoir cette dimension.


 


MV : Avant de faire ce travail, vous êtes-vous posé la question si vous aviez l’autorisation de diffuser de si nombreux extraits sur YouTube ? Avez-vous contacté YouTube ou les ayants-droits pour cela ?

M.R. : Je me suis en effet posé la question. Je n’ai contacté personne.
J’ai donc couru le risque que ma vidéo soit supprimée par YouTube. J’ai croisé les doigts. J’ai eu beaucoup de chance. Malheureusement, ce ne fût pas le cas pour un avant/après que j’ai réalisé sur les lieux de tournage du film « Tchao Pantin ». Ce dernier reste néanmoins visible sur mon site professionnel dans la rubrique « vidéo ».


 


MV : Avez-vous envisagé d’envoyer le montage au réalisateur Gérard Krawczyk à titre de clin d’oeil ?

M.R. : En 2013, j’ai réalisé un premier avant/après sur les lieux de tournage du film «37°2 Le Matin». J’avais envoyé la vidéo via la messagerie Facebook à Jean Jaques Beineix, le réalisateur du film. Ce dernier m’avait par la suite félicité en évoquant une « jolie évocation nostalgique » dans les commentaires YouTube de la vidéo.


Dans cette même perspective j’ai également envoyé la vidéo à Gérard Krawczyk via la messagerie Facebook. Ce dernier a accepté ma demande de message mais, je n’ai pas encore reçu de réponse pour le moment.


MV : Dans la vie, à part de décortiquer des films célèbres, quelle est votre activité aujourd’hui ?

M.R. : Je suis actuellement Etudiant à L’École Supérieure d’Audiovisuel (ESAV) de Castres. Mon projet professionnel est d’exercer à terme le métier de monteur vidéo.


Je suis passionné par le Cinéma, la Musique, et plus globalement la Culture, avec des attachements pour les années cinquante à quatre-vingt. Ces attachements influencent un grand nombre de mes réalisations. Néanmoins, je reste sensible aux œuvres cinématographiques et musicales actuelles.


 


MV : D’autres projets du même genre ?

M.R. : J’ai réalisé en 2013 un premier avant/après sur les lieux de tournage du film « 37°2 le matin » en partie tournée à Gruissan intitulé : « Sur les pas de Betty et Zorg ». Par la suite, en 2016 j’ai réalisé un second avant/après sur les lieux de tournage du film « Tchao Pantin » avec Coluche, tourné à Paris dans le quartier de la Goutte d’Or.


Propos recueillis par Thierry Philippon.


maxime ritter

 

Pour découvrir le parcours et les activités de Maxime Ritter, vous pouvez visiter:


(L'art de filmer les lieux d'un tournage)

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