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Arles 2021 : Corée du Nord, quand un photographe détourne la propagande

12 juillet 2021 par Thierry Philippon


L'expo photo dont je souhaite vous parler se déroule à Arles au coeur d'un jardin public (le Jardin d'Été). Elle est gratuite et sur ce plan, déroge à la manifestation culturelle dans laquelle elle s'inscrit - les Rencontres de la Photographie d'Arles -  qui est payante. L'objectif affiché est de faire se rencontrer le grand-public et la photographie d'art ou documentaire.
 
Le thème de cette expo porte sur la République Populaire Démocratique de Corée, ce pays aussi fascinant que repoussant de par son communisme aux mains d'une dictateur dont le caractère affable n'est qu'apparence et qui défend une démocratie liberticide et d'endoctrinement.
 
Stephan Gladieu, le photographe - français - qui a réalisé les photos de cette expo, s'est donné pour mission de photographier des individus, des corps de métiers, avec à chaque fois une ou deux personnes, au maximum un petit groupe, dans une logique de portrait. Une méthode qui a étonné de prime abord la Corée du Nord, habituée par définition aux photos collectivistes, basées sur des rassemblements plus ou moins imposants. 
 
 
Mais cette "logique intime" a eu pour avantage évident de rassurer les Autorités inquisitrices nord-coréennes, plus à même de contrôler des portraits réalisés avec peu de personnes et un cahier des charges simple et précis.
 
Le photographe a donc pu réaliser des portraits - certes choisis par le gouvernement -  mais a pu exprimé ainsi librement sa création artistique. 
 
 
Ces portraits sont fascinants. D'abord parce qu'ils montrent en apparence des situations comparables aux nôtres : un homme faisant les courses avec un caddie, des enfants assis dans des voiturettes, une coiffeuse dans son salon de coiffure,  une famille au zoo dont la femme porte une paire de lunettes de soleil, un groupe d'amis assis dans l'herbe pour un pique-nique. Mais le photographe a fait poser ses portraits, façon image de propagande, frontal et statique, comme un artiste nord-coréen aurait probablement procédé : de fait les enfants ne jouent pas, les couples ne se tiennent pas par la main, les hôtesses n'aident pas les voyageurs, une façon très ordonnée de disposer les éléments, une absence de spontanéité, bref un cahier des charges qui ne pouvait que séduire les autorités et qui avait aussi l'avantage d'être facile à communiquer aux Autorités Nord-Coréennes.
 
Grâce à des vues par ailleurs très frontales, le photographe a fait preuve de malignité : il a finalement surjoué la rigidité et la théâtralité des photographies officielles habituelles nord-coréennes pour se créer indirectement un espace de liberté créatif alors que les autorités nord-coréennes surveillaient, comme c'est leur habitude, tous ses déplacements, faits et gestes. 
 
Ces photos sont également fascinantes et ça, les autorités ne pouvaient le contrôler, car dans les regards et les attitudes, il y a quelque chose de figé, d'éteint : les sourires sont parfois tendus, voire inexistants. Pire : les yeux de certains habitants, même quand ils sourient, parviennent à dire parfois le contraire de ce qu'un sourire serait censé exprimer, allant jusqu'à refléter une tristesse ou une soumission perceptibles. 
 
Enfin le détail technique de l'installation photographique de Stephan Gladieu n'a pas été précisé mais de ce que l'on peut comprendre, le photographe a opéré sur trépied avec une chambre. Chaque portrait se caractérise par une profondeur de champ maximale de telle sorte que le fond et l'avant-plan (le portrait en lui-même) sont parfaitement nets, sans la moindre zone de flou. Or l'arrière-plan dévoile souvent un bâtiment, sigle ou organe officiel de l'État. C'est une manière signifiante de plus pour l'auteur de montrer que l'individu en Corée est absorbé par les Autorités officielles. Que l'être humain a beau être placé au premier plan, derrière se trouve la mainmise de la République de Corée. Omniprésente.
 
Une belle critique, subtile, réfléchie et délicate.
 
 
Expo jusqu'au 26 Septembre 2021. Arles - Jardins d'Été (boulevard des Lices). Entrée gratuite. Pas de Pass sanitaire (masque seulement).
Stephan Gladieu a aussi publié un livre plus complet aux éditions Actes-sud. 160p. 35€.
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