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5 caméras brisées pour la paix

12 mars 2016 par Thierry Philippon


Lorsqu’il s’exprime en 2012 au Festival du Cinéma du réel à Beaubourg, Emad Burnat ressemblerait presque à un réalisateur classique venu présenter son dernier documentaire. S’exprimant en anglais, les lunettes de soleil remontées sur les cheveux, le badge officiel en bandoulière, le regard profond, Emad Burnat s’exprime avec une belle aisance face à la caméra. 
 
Pourtant, pour achever ce documentaire, le réalisateur a joué avec sa vie. Ses 5 caméras, utilisées tour à tour au fil des ans entre 2004 et 2011, ont subi le même sort ou presque : toutes brisées, elles ont donné à la fois l’idée du titre du film (Five broken Cameras) et le fil rouge de ce documentaire qui a reçu de nombreux prix. 
 
 
L’un des intérêts de Five broken cameras est qu’Emad Burnat n’est pas un réalisateur de documentaire au départ. Emad est un père de famille, de souche paysanne. En 2004, il récupère une caméra qui marche bien, il a l’idée de filmer ses enfants, notamment son 4e fils, Djibril. Il conserve aussi une trace numérique de certaines activités festives de son village, BIl’in.
 
Mais Emad habite en Cisjordanie. Il voit arriver un jour dans son village des géomètres. Peu à peu, ses « cousins de sang » finissent par défricher le terrain, déraciner les oliviers, bâtir de grands immeubles, édifier un mur, dans une avancée surréaliste. La population de BIl’in s’oppose et manifeste pacifiquement tous les vendredis, après la prière. Elle parvient aussi à solliciter des recours juridiques. Parfois, le petit village gagne et réussit même à faire reculer le mur ! Mais quand les nerfs sont à vif, la situation dégénère. Des soldats armés s’interposent : arrestations, gaz lacrymogène, grenades, et parfois balles réelles…. 
 
 
Emad filme pour témoigner, dénoncer. Psychologiquement, sa caméra le protège, lui le non-violent. Une grenade brise sa première caméra. De même quand il s’approche trop près, ou refuse d’arrêter de filmer, on lui « casse la figure », sa caméra avec. Qu’importe, il s’en procure toujours une nouvelle. Jusqu’à 5 au total. On reconnaît vaguement une Canon HV20 disloquée, une Sony HC90??, une Sony pro, une tri-CCD Panasonic… Sa dernière caméra est comme greffée sur son corps, pour pouvoir filmer à tout instant et se sentir ainsi « armé » à sa façon. Un jour, le blindage de sa caméra va d’ailleurs lui sauver la vie, une balle « perdue » éclatant son camescope.
 
 
Emad Burnat filme des images à chaud, pas toujours compréhensibles pour une personne extérieure. Car la situation est complexe, parfois absurde. Ainsi, lorsque le documentariste est gravement blessé lors d’un accident de voiture, c’est l’hôpital de Tel Aviv vers lequel il est embarqué en urgence, qui lui sauve la vie. S’il était resté en Cisjordanie, faute d’infrastructure sur place, ses blessures ouvertes n’auraient probablement pas pu être soignées. 
 
 
En 2009, Emad a accumulé déjà beaucoup d’images. Il a aussi perdu un ami proche. Alors il veut témoigner. Il connaît un autre réalisateur, l’israélien Guy Davidi, très engagé pour la paix et la fin du conflit. L’israélien, qui deviendra le co-réalisateur du film, ne souhaite pas faire un film de plus sur un conflit déjà très médiatisé. Alors il suggère à Emad d’être le propre acteur de son documentaire, à travers sa famille, sa femme, son père, ses enfants. Le narrateur, ce sera lui, Emad. Et il parlera de ces 5 caméras brisées au fil des ans.
 
 
Pour charpenter cette histoire, soulignons le remarquable travail de la monteuse du film, Véronique Lagoarde–Ségot. Jouant le rôle de candide dans un conflit compliqué, elle apporte sa pédagogie de monteuse pour donner sens à toutes ces images aussi disloquées que le sont les caméras du film. Des caméras cassées, témoins et « actrices »  d’un conflit parfaitement absurde, que le réalisateur aligne au final côte à côte, comme une métaphore d’un conflit qui s’inscrit dans la durée. 
 
Emad reste optimiste : « Je ne peux qu’espérer que les gens voient ce film et que nous puissions changer le monde ". Pourvu qu’il ait raison…
 
Captures  © Emad Burnat / Guy Davidi
 
Nominé aux oscars 2013 du meilleur film documentaire.
Distribution : www.zeugmafilms.fr
Film sous-titré en français.
Musique : Kora Ballaké Sissoko. Violoncelle : Vincent Segal - Chamber Music.
Sortie : 2011
 

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Vos avis !

avatar BienVU Premium
Bravo pour ce documentaire qui a demandé tellement de courage et de persévérance pour mettre en lumière, une fois de plus, l'absurdité du monde dans lequel on vit.
71claude Invité
La musique qui accompagne la bande annonce : Chamber Music, de l'album du même nom, à la kora Ballaké Sissoko, au violoncelle Vincent Segal.
Thierry Philippon Invité
Merci. On l'ajoute.