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Jakarta, de l'autre côté des buildings

02 mai 2013 par Bernard Marchal (auteur) / Thierry Philippon (entretien)


Les vraies richesses, qui remuent le coeur du voyageur, ne se rencontrent pas toujours là où on pensait les trouver. Une découverte des quartiers pauvres de Jakarta : ce sont les enfants qui m'y ont donné une leçon, inattendue et émouvante. Film plusieurs fois primé. Entre autres au festival de l'EPLICINA (Belgique 2010, Premier grand prix) et au festival de la Fédération Nationale Belge.

Bernard Marchal a eu la gentillesse de répondre à certianes de nos questions. Vous trouverez son interview express sur notre Blog vidéo.

Ce film a été proposé grâce au dépôt vidéo de magazinevideo.

 
Bernard Marchal a emmené sa caméra dans les quartiers les plus pauvres de Jakarta où il a rencontré des familles dénuées de tout ou presque et vivant au milieu des immondices. Les enfants expriment une apparente joie de vivre très énigmatique aux occidentaux que nous sommes. Le réalisateur a bien voulu répondre à quelques-unes de nos questions.
bernard marchal

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Magazinevideo : Quel équipement avez-vous utilisé ?

Bernard Marchal : Les images ont été prises avec une caméra Sony HVR-Z1E, qui faisait de la « fausse » HD (1440 x 1080) et générait des fichiers « .m2t ». Le son « life » est celui du micro interne de la caméra. Le son post-produit (doublure en français des paroles dites en « life ») a été capturé avec le micro Sennheiser ME 64, couplé à la « capsule » K6, et enregistré en extérieur, sur ma terrasse, pour essayer de garder la texture sonore des voix en plein air. Le commentaire voix-off a été enregistré en intérieur, avec le micro Sennheiser ME 64. Le montage a été réalisé avec Adobe Première Pro CS2.

 

MV : De combien de temps de rushes disposiez-vous ?

B.M. : Je disposais d’environ 2 heures de rushes pour la partie essentielle du documentaire, consacrée aux habitants installés au bord du chemin de fer. J’avais beaucoup plus de rushes si je tiens compte des 2 autres séquences au début du film. Probablement 4 heures au total.

 

MV : Combien de temps êtes-vous resté dans les lieux que vous avez filmés ?

B.M. : Pour calculer le temps passé sur les lieux de tournage pour Des énigmes lumineuses du bonheur, je dois faire la différence entre 3 séries de plans :

1. Les plans du début (les quartiers riches au centre de Jakarta) ont été faits lors de différents séjours (courts), en parcourant la ville ici et là, durant quelques demi-journées.

2. Les plans qui concernent les 2 premiers quartiers pauvres de Jakarta dont il est question dans le reportage, « Pasar Ikan » (marché aux poissons) et « Sunda Kelapa » (le port des grands bateaux bugis) ont été tournés en 2 demi-journées, bien avant que ne me vienne l’idée du film.

3. Les images de la séquence principale (les habitants qui se sont installés près du chemin de fer) ont été prises en une seule journée.

 

MV : Connaissiez-vous un peu l’Indonésie et plus particulièrement Jakarta avant de réaliser ce film ?

B.M. : Oui. Je parcours l’Indonésie depuis 27 ans. Au début, j’étais « guide » pour une association de voyageurs et « créateur » de nouveaux circuits, durant mes vacances d’été. Je faisais de la diapositive… Je parcours le pays avec une caméra depuis 7 ans. En ce qui concerne plus particulièrement Jakarta, je ne m’y attarde généralement pas ; je n’y reste d’habitude qu’un jour ou 2, en transit, avant de partir vers d’autres contrées de Java ou vers d’autres îles. J’avais toutefois une certaine expérience de cette ville et j’avais déjà un peu parcouru les quartiers très pauvres, mais pas encore celui qui est au centre du reportage.

 

MV : Aviez-vous une personne qui traduisait ou peut-être parlez-vous l’indonésien ?

B.M. : Non, je n’étais accompagné d’aucun traducteur. Je suis seul pour faire les images que je tourne en Indonésie. Je parle la langue indonésienne. Je n’ai guère de mérite : c’est une langue facile à apprendre, pour peu qu’on ait des raisons de s’y atteler, et après de nombreux séjours, il eut été impensable de ne pas avoir appris suffisamment cette langue pour satisfaire aux besoins de la communication courante.

 

MV : Est-ce que ça a été compliqué d’approcher les gens que vous filmez ? Vous avez une manière de procéder particulière pour vous faire accepter ?

B.M. : Pour les scènes où je suis à l’image, c’est mon père qui filme à la volée. Parfois l’appareil photo est simplement posé ou fixé grâce au pied Gorillapod.

 

MV : Votre regard est non misérabiliste bien que vous parliez d’hommes, de femmes et surtout d’enfants qui sont très démunis et vivent au milieu des immondices. Cette idée était-elle un postulat de départ ou l’idée s’est-elle imposée en découvrant la réalité du terrain ? En d’autres termes, avez-vous eu une “note d’intention” avant de vous rendre en Indonésie ?

B.M. : Le regard n’est pas misérabiliste en effet. C’est un choix délibéré, en tout cas pour ce qui concerne ce reportage-ci. Dans d’autres reportages réalisés en Indonésie, j’ai adopté un tout autre ton. Une note d’intention avant ce reportage-ci ? Non, car il n’était pas prémédité. En visitant, presque accidentellement, le quartier où des gens sont entassés le long d’une voie de chemin de fer, et en regardant vivre ces personnes, j’ai eu un ressenti, qui n’était certes pas neuf pour moi, mais qui s’imposait d’une façon fulgurante : c’étaient eux qui me donnaient une leçon, avec une force inattendue. Pas l’inverse. Oui, c’est donc sur place, devant la réalité du terrain, que le procédé narratif s’est imposé pour le reportage qui allait être monté. Le ton a été choisi pour être en accord avec ce ressenti.

J’ai voulu réagir aussi contre ce regard invariablement dramatique de la majorité des reportages télévisés, s’agissant de sujets semblables, consacrés aux plus démunis de la planète, et dont les commentaires imposent une conclusion aux spectateurs. J’ai voulu donner une image autre, fidèle à ce ressenti, et bannir du commentaire ce qui induit invariablement la culpabilisation occidentale et procède d’un voyeurisme misérabiliste. Un autre regard, simplement… Pas d’analyse sociologique doctrinale. C’est au spectateur de conclure, selon sa sensibilité.

 

MV : Votre vidéo se caractérise par l’absence totale de musique, ce qui est rare. C’est probablement un parti pris délibéré. Est-ce un conseil que vous donneriez ?

B.M. : C’est un choix, mais pour ce reportage-ci seulement. Les sons « life » me paraissaient suffisamment porteurs de signification, suffisants pour suggérer du sens. Un habillage sonore et musical n’est pas une absolue nécessité. Non, je ne donnerais pas le conseil de s’abstenir d’habiller un reportage de musique. Toutefois, il y a d’autres contextes où des images ont besoin d’un support musical. Je suggèrerais plutôt de ne recourir à la musique et aux effets sonores que si le matériau brut nécessite cette adjonction. Il me semble que les reportages qui veulent témoigner de la vie de groupes humains ont intérêt à privilégier les sons « life ».

 

MV : Une anecdote marquante dont vous avez le souvenir lors du tournage ?

B.M. : L’anecdote est très personnelle : elle est relative au petit garçon de quelques mois, dans les bras de sa jeune maman et que j’ai filmé en gros-plan (c’est le plan final, avant le générique, et que j’ai « gelé » par un arrêt sur image et une transformation en « noir et blanc »). Le bébé avait un regard si fort et me faisait réfléchir avec tant d’émotion à ce que serait son destin, comparé à celui d’un petit garçon, né dans ma famille quelques mois plus tôt, ici, en Belgique, qu’il m’a donné une clé pour construire le film, me rappelant aussi une chanson de Maxime Le Forestier : « Né quelque part ». Certes, nous pouvons aider matériellement ceux dont le cadre de vie est dramatique, quand les circonstances des voyages nous confrontent à ces réalités, mais rien ne remplacera cet ingrédient vital pour un enfant : l’attention dont ses parents l’entoure et qui lui donne un sentiment essentiel de sécurité.

entretien : Thierry Philippon / captures d'écran : © Bernard Marchal

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