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Désintox : Mr Mélenchon et les facéties du J_Cut

06 décembre 2017 par Thierry Philippon


Mr Mélenchon défraye la chronique actuellement. Mais ce n’est pas l’homme qui m'intéresse ni sa politique, mais une coupure de phrase et des applaudissements dont il s’est violemment offusqué. 
 
Je m’empare de ce sujet inhabituel car la polémique est en rapport étroit avec le montage. Comme ce sont ceux qui connaissent le moins le principe des raccords qui en parlent le plus, on s’est dit qu’on avait une petite légitimité à en parler. :) Mais reprenons l’enchaînement de cette histoire compliquée : 
 
Phase 1 :
Mr Mélenchon fait un discours à Clermont-Ferrand le 25 Novembre dernier à la « Convention des Insoumis ». Le soir même, un compte-rendu passe au journal de France2 au 20H. La voix off du journaliste évoque la déprime du mouvement. Une phrase « in » semble corroborer cet état d’âme, celle dans laquelle on entend (et voit) Mr Mélenchon affirmer : (…) Nous venons de subir un revers. Il paraît que si je le dis, je démoralise. Non ! Je le dis, parce qu'on est démoralisés » (sic).
 
Cette dernière phrase surprend bien évidemment, les hommes politiques annonçant rarement qu’ils sont démoralisés devant un parterre de militants. 
 
Sur cette séquence et les deux suivantes, on entend puis on voit des applaudissements. Voici le reportage complet avec la fameuse phrase à 24'' suivie des applaudissements :
 
 
Phase 2  :
Mr Mélenchon et la France insoumise ont vent du traitement de ce sujet et s’en offusquent publiquement, vitupérant que la scène a été tronquée au montage par France2 et en a modifié complètement le sens.
 
Phase 3
Vérification faite par d’autres médias (Liberation entre autres le 26/11), la  phrase a bien été « coupée ». Tronquée, manipulée, laissent entendre les mélenchonistes. Seule certitude, Mr Mélenchon a déclaré très exactement : (…)  Il paraît que si je le dis, je démoralise. Non !  Je le dis, parce qu'on est démoralisés dans certains secteurs de la société». Et en images ici. Ce sont donc les secteurs de la société (Mélenchon désigne en fait les syndicats) qui sont démoralisés, et non Mélenchon ou la France insoumise ! Conclusion : France2 a réussi à faire affirmer à Mr Mélenchon une phrase dont le sens a été profondément modifié. C’est un peu comme si on avait réussi à faire dire à Monsieur Trump qu’il était désespéré de twitter autant ! :)
 
Phase 4
France 2 s’excuse dans le JT de 20H du 27 Novembre, concède un « droit à l’erreur » et diffuse la phrase en intégralité, restituée dans son contexte. 
 
Phase 5 : 
Invité de l’Emission politique du 30 novembre dirigée par Léa Salamé, Mr. Mélenchon revient sur l’affaire et accuse en direct les journalistes de France 2 de malhonnêteté. Il (ré)évoque non seulement la coupure de phrase mais également, des applaudissements qui auraient été "ajoutés". Léa Salamé précise qu’ils se sont excusés pour la coupe, et les journalistes du plateau récusent l’accusation d’ajout d’applaudissements. Mélenchon n’en démord pas et part dans une colère froide.
 
Phase 6 :
Des journalistes de presse écrite et audiovisuelle re-décortiquent le lendemain la séquence d’origine et conviennent que M. Mélenchon dit de nouveau vrai puisqu’ils revisionnent la séquence originale dans laquelle on n’entend aucun applaudissement ! Le problème est qu’on s’arrête à ce fait amenant les esprits fragiles à penser qu’il y a eu un complot contre Mr. Mélenchon. 
 
La phrase est bien coupée; on en a changé le sens, c’est donc une grosse maladresse de France2. Et des applaudissements s’entendent bien dans le sujet de France2 mais pour autant, ça ne prouve pas grand chose !
 
Car la question fondamentale est de savoir si c’est une manipulation doublée d’une intention de nuire ? Or c’est très peu probable pour au moins trois raisons liées aux techniques de montage et à la façon dont l'information d'un JT se construit. 
 
D’abord, la figure de style de la phrase n’est pas évidente. L’emploi du « on » (est démoralisés) pouvait désigner aussi bien « nous, France insoumise » que « les autres ». Et le ton descend comme une fin de phrase. N’oublions pas que Mr Mélenchon aime beaucoup la langue française, et s’amuse avec les mots (on se souvient de son expression célèbre de « pudeur de gazelle »). Si M. Mélenchon avait dit « certains secteurs de la société sont démoralisés », l’erreur de montage n’aurait même pas été possible. Il a préféré une phrase plus compliquée, avec un silence, et un effet théâtral de fin de phrase, qui a peut-être leurré le monteur. Bref, la phrase est perturbante, au moins autant que la coupe.
 
Ensuite, un monteur de France 2 du JT n’est pas dans la réflexion, et le fignolage, mais dans l’action immédiate. Il doit visionner les rushes à toute vitesse, et finaliser en un temps record un montage de 1'34' pour le soir même. La conférence s'est terminée à 14H20. Il fallait que le sujet soit prêt pour 20H pétantes, dérushé, monté, synthé ajouté (incrustation de texte) et la voix off enregistrée. Les monteurs sont habitués, mais le délai fut court.
 
Surtout, le monteur regarde son compteur pour tenir une durée qui lui est totalement imposée, il coupe (au mauvais endroit) et utilise les applaudissements de la séquence finale avec un J_Cut. Cette technique banale (pour un monteur), nommée aussi split audio, consiste à laisser mordre l’audio d’un plan B sur le plan A situé juste avant pour donner du « liant ». C’est une technique ultra utilisée par les monteurs. Les applaudissements de le salle ont donc été montés en J_Cut, mordant sur la fin de l'extrait où Mr Mélenchon s'exprime.
 
Compte tenu des contraintes de durée du sujet  (1'34'') sur laquelle le monteur n'a guère de latitude, il y a une autre hypothèse, un peu désopilante, mais pas impossible : le monteur avait quelques secondes en trop, il a donc coupé sciemment à l'endroit fatidique pour grignoter quelques secondes, sachant qu'il s'est dit que le journaliste en voix off résumait de toutes façons la fin de phrase coupée de M. Mélenchon (allusion aux syndicats). Et c'est passé comme ça, juste pour tenir une durée de 1'30''...
 
Enfin, pourquoi diable France2 aurait-il volontairement ajouté des applaudissements sur quelqu’un qui dit que son parti est démoralisé ? Ça n’a pas de sens. Ce qui aurait du sens, ce serait un plan de coupe, sur des faciès tristes ou quelqu’un qui juste après le mot « démoralisé », s’essuie ses yeux mouillés en gros plan (mais qui a juste un gros rhume). Là c’est le contraire, des applaudissements ! 
 
Seule certitude : France2 a commis une bourde involontaire à cause d’un procédé de montage utilisé sans discernement, et d’une actualité qui va sans doute toujours trop vite… Pas de quoi crier au loup... ni au complot.
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Vos avis !

ROZIERES Invité
C'est très bien d'utiliser l'actualité pour offrir a vos lecteurs un petit cours de montage en cut. Personnellement je ne retiens que cela (le cours) quant au reste, je ne suis, comme les commentaires précédents, pas du tout convaincu de la réalité de votre point de vue sur ce sujet, et à l'avenir je pense qu'il serait préférable de puiser dans des exemples qui ne relèvent pas de l'actualité politique, souvent génératrice de polémiques
avatar Bzh No Comment Membre
Vos explications ne sont guère convaincantes. Un monteur professionnel peut très bien monter dans l'urgence et être volontairement mal attentionné ou plus exactement être obligé de respecter la ligne politique imposée par les dirigeants des chaînes de télévision françaises. CQFD
avatar T-gil Membre
Allons allons !! Sans être un fan de M. Mélanchon il faut tout de même reconnaître que France 2, à l'image des chaînes privées, préfère la polémique à l'information et le bricolage ne doit pas les gêner beaucoup. Après ce que j'en pense ....
crackers Invité
Merci d'avoir décortiqué le sujet , neanmoins j'ai du mal à croire qu'il puisse s'agir d'une simple erreur de montage ... Il me semble que si il ne s'agissait que d'une faute d'inattention , on en aurait tous les jours ... crackers
NOEL Invité
Dans le cadre de tout montage, c'est très bien d'avoir utilisé cet exemple pour montrer l'importance de l'endroit des "cuts" qui doivent tenir compte de la compréhension de l'audio qui va avec.